Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/175

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découvre une source de joie — qu’elle revêt une sorte de bonne conscience ; c’est seulement alors qu’on s’abandonne volontiers à elle et qu’on ne craint pas ses conséquences… Si nous nous laissons assombrir par la misère et les souffrances des autres mortels et si nous couvrons de nuages notre propre ciel, qui donc portera les conséquences d’un tel assombrissement ? Certainement les autres mortels, et ce sera un poids à ajouter à leurs propres charges. Nous ne pouvons être pour eux ni secourables ni réconfortants, si nous voulons être les échos de leur misère et aussi si nous voulons sans cesse prêter les oreilles à cette misère — à moins que nous n’apprenions l’art des Olympiens et que nous ne cherchions à nous rasséréner par le malheur des hommes au lieu d’en être malheureux. Mais cela est un peu trop olympien pour nous…[1] ».

On parle beaucoup de nos jours de la solidarité.

  1. Cf. La Rochefoucauld : « Je suis peu sensible à la pitié et je voudrais ne l’y être point du tout. Cependant il n’est rien que je ne fisse pour le soulagement d’une personne affligée et je crois effectivement que l’on doit tout faire, jusqu’à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal ; car les misérables sont si sots que cela leur donne le plus grand bien du monde ; mais je tiens aussi qu’il faut se contenter d’en témoigner et se bien garder d’en avoir. C’est une passion qui n’est bonne à rien au dedans d’une âme bien faite ; qui ne sert qu’à affaiblir le cœur et qu’on doit laisser au peuple, qui n’exécutant jamais rien par raison, a besoin de passions pour le porter à faire les choses. »