Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/186

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sent et, lui imposant une démarche forcée, elles l’entravent et, le mêlant de quelque matière étrangère à lui, elles l’altèrent et le corrompent. C’est l’égoïsme à l’état pur qui est beau et qui est bon. Les hommes ne se trompent pas en tant qu’égoïstes et en tant que voulant rester tels. Ils se trompent en tant que voulant dissimuler leur égoïsme à eux-mêmes et aux autres.

Remarquez que ce masque de vertu, que cette morale-masque, l’homme croit en avoir d’autant plus besoin, et en vérité, oui bien, en a d’autant plus besoin qu’il est plus civilisé, en d’autres termes qu’il en a d’autant plus besoin qu’il l’a déjà plus longtemps porté. L’homme civilisé, l’homme moralisé, est devenu très laid, très plat, très chétif, très hideux. Le masque a enlaidi le visage. D’autant plus, donc, doit-il se masquer et ainsi indéfiniment. Supposez un homme qui, pour se rendre agréable, ait pris un masque qui lui a communiqué un cancer. Après avoir été un prétendu ornement, le masque devient une horrible nécessité. Nous en sommes là dans l’Europe de 1880 et cela fait une difficulté, sans doute, dont les immoralistes se rendent très bien compte et qui les ferait presque hésiter sur leur chemin : « L’homme nu est généralement un honteux spectacle. Je veux parler de nous autres Européens… Supposons