Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/20

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exagérée. Que tout Nietzsche soit dans Gœthe, il ne faudrait peut-être pas en être sûr jusqu’à le dire ; mais à coup sûr on trouve Gœthe à tous les tournants de la marche de Nietzsche, aux principaux points de son évolution, et l’ombre lumineuse plane éternellement sur le moderne lutteur. « Le voyageur et son ombre », c’est un des titres de Nietzsche. Nietzsche a voyagé sans cesse dans la grande ombre de Gœthe, en essayant quelquefois, même avec succès, ce qui est possible dans ce cas-là, de « sauter hors de son ombre ».

Quoi qu’il en soit, il s’adressa à la France. Il lut Montaigne dont il loue la « loquacité» charmante : « Une loquacité qui vient de la joie de tourner d’une façon toujours nouvelle la même chose : on la trouve chez Montaigne. » — Il lut Pascal, qu’il cite cent fois ; il lut La Rochefoucauld, dont il est, du reste, le dernier éditeur, avec commentaires surabondants ; il lut Corneille, qu’il a compris jusqu’au fond et que nous retrouverons souvent en sa compagnie dans le cours de ce volume ; il lut La Bruyère ; il lut Voltaire, Vauvenargues ; il lut Chamfort, où il retrouve Schopenhauer, Chamfort qu’il déteste et qu’il excuse à la fois d’avoir été du parti de la Révolution et dans lequel il trouve a un homme riche en profondeurs et en tréfonds de l’âme, sombre, souffrant, ardent et le plus spiri-