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écarter ; pour qu’elle puisse, même, remarquez-le, avoir conscience d’elle-même à les repousser et à leur dire : « Je ne vous connais pas. » Si l’espèce supérieure était complètement disparue, le plébéianisme éprouverait l’ennui des victoires trop complètes et ne sentirait plus le plaisir d’être ; il perdrait la passion de soi-même, qui est le sel et qui est l’aiguillon de la vie.

Donc diminuer, par tous les moyens que nous avons vus, l’espèce supérieure et en conserver quelques spécimens, ou plutôt se féliciter de ce qu’il y en aura toujours quelques exemplaires, c’est le mouvement naturel du plébéianisme en marche.

Cette décadence d’une société ou d’une civilisation à mesure que l’aristocratisme baisse est bien sensible aux yeux mêmes, pour ainsi dire, si l’on considère les trois siècles que nous venons de parcourir. Les différentes « sensibilités » des trois derniers siècles s’expriment le mieux de la manière suivante : « Aristocratisme : Descartes, règne de la raison, témoignage de la souveraineté dans la volonté. — Féminisme : Rousseau, règne du sentiment, témoignage de la souveraineté dans les sens, mensonges. — Animalisme : Schopenhauer, règne des appétits, témoignage de la souveraineté des instincts animaux, plus véridique, mais plus sombre.