Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/259

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d’oppression. Cela explique pourquoi les classes (ou les races) dominantes, ainsi que les individus, ont maintenu sans cesse le culte de l’altruisme, l’évangile des humbles, le Dieu sur la croix. »

Que les hommes d’espèce inférieure gardent la morale. Aussi bien c’est eux qui l’ont inventée, et ils l’ont inventée selon leur nature et selon leurs besoins, et il n’y a rien à dire à cela. Leur seul tort est de vouloir y soumettre ceux pour qui elle n’est pas faite et qu’elle annihile, au grand dam de la société et du genre humain. Le tort des poissons n’est pas de vouloir vivre dans l’eau ; il serait de vouloir contraindre à y vivre les aigles, ces conquérants, et les rossignols, ces artistes. C’est le mot de Napoléon, parfaitement juste : « Que vous écoutiez la voix du sentiment et de la pitié, c’est affaire à vous et c’est très bien de votre part ; mais à moi, Monsieur de Metternich, qu’importe que cent mille hommes vivent ou périssent ? »

Il est prouvé que l’humanité, la masse de l’humanité, ne peut vivre sans morale, peut-être même sans une religion, développement, dérivation et soutien aussi de cette morale. Il est prouvé aussi que l’élite de l’humanité ne peut vivre et aussi ne peut mener l’humanité dans les chemins de la grandeur et de la beauté qu’affranchie de cette morale. Concluons qu’il faut une morale pour