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choses que les autres vénèrent ; il voudrait bien se persuader que le bonheur, même là, n’est pas véritable. Par contre, il met en avant en pleine lumière les qualités qui servent à adoucir l’existence de ceux qui souffrent. Ici nous voyons honorer la compassion, la main complaisante et secourable, le cœur tendre, la patience, l’application, l’humilité, l’amabilité ; car ce sont les qualités les plus utiles, et presque les seuls moyens pour alléger le poids de l’existence. La morale des esclaves est essentiellement une morale utilitaire. C’est ici le foyer général de la fameuse antithèse « bon » et « mal ». C’est dans le concept mal que l’on fait entrer la puissance et ce qui est dangereux[1], quelque chose de formidable, de subtil et de fort qui ne laisse pas approcher le mépris. D’après la morale des esclaves, c’est le méchant qui inspire la crainte ; d’après la morale des maîtres, c’est justement le « bon » qui l’inspire et qui la veut inspirer, tandis que le « mauvais » est l’objet du mépris. L’opposition des deux principes se rendra tout à fait sensible, si l’on remarque la nuance de dédain (même léger et bienveillant) qui s’attache au « bon » selon l’acception de la morale des esclaves, parce que le « bon » de cette morale c’est l’homme inoffensif, de bonne composition,

  1. Dominium, dangier, danger.