Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/269

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facile à duper, peut-être un peu bête, un bonhomme. Partout où la morale d’esclaves a pris le dessus, on observe dans la langue une tendance à rapprocher les mots « bon » et « bête »… — Dernière différence fondamentale : l’aspiration vers la liberté, l’instinct pour le bonheur et les délicatesses du sentiment de liberté appartiennent aussi nécessairement à la morale et à la moralité des esclaves que l’art et l’enthousiasme dans la vénération et dans le dévouement sont le symptôme régulier d’une manière de penser et d’apprécier aristocratique. »

Voilà, selon Nietzsche les deux morales en présence, voilà les deux races en présence l’une de l’autre, chacune avec sa règle de vie. Elles ne se comprendront jamais l’une l’autre et se regarderont l’une l’autre avec un étonnement profond, parce que, non seulement les actes sont différents, mais les mobiles lointains des actes sont de sphères différentes, ou ne sont pas sur le même plan géométrique. Il y a là deux mondes : « Aux natures vulgaires tous les sentiments nobles et généreux paraissent impropres et pour cela, le plus souvent, invraisemblables ; ils clignent de l’œil quand ils en entendent parler et paraissent dire en eux-mêmes : « Il doit y avoir là un bon petit avantage ; on ne peut pas regarder à travers tous les murs », et ils se montrent envieux à l’égard de l’homme noble,