Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/30

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tage. Il dit que ce goût même de la race grecque pour un art qui, encore que dionysiaque et apollinien, était pathétique, était triste, et étalait l’horreur et la misère humaine, révèle une race forte et allègre, qui ne craignait pas l’étalage de la misère et de la douleur ; qui ne demandait pas des dénouements heureux ; qui ne demandait pas de mensonges optimistes ; qui était assez sûre d’elle pour contempler la misère humaine, y trouver un plaisir esthétique et n’en être point ébranlée : qui peut-être avait besoin de se divertir ainsi un instant de son optimisme pour le retrouver entier et intact le moment d’après ; qui peut-être éprouvait un plaisir mâle et âpre à voir le malheur humain, à le sentir menaçant, à s’en sentir menacé et à marcher à l’action, dût ce malheur tomber sur elle et au risque de ce malheur ; qui peut-être éprouvait un plaisir viril et sain à dire comme Gœthe : « Par-dessus les tombeaux, en avant ! » ; qui, en tout cas, n’allait pas chercher dans l’art des consolations, des solanées et des stupéfiants, mais, comme les forts, je ne sais quel breuvage amer et tonique.

Ainsi en possession d’une idée très douteuse sur l’art grec, mais qui faisait pour lui office de vérité, Nietzsche réfléchit sur cette révélation et se sentit ébranlé exactement en tout ce qu’on lui avait enseigné. On lui avait enseigné le romantisme alle-