Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/313

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aliments ; il l’efface ; c’est pourquoi il fait partie de tous les repas. Dans toutes les œuvres d’art il faut qu’il y ait quelque chose comme du pain, pour que celles-ci puissent réunir des effets différents, des effets qui, s’ils se succédaient immédiatement, sans un de ces repos et arrêts spontanés, épuiseraient rapidement et provoqueraient de la répugnance — ce qui rendrait un long repas d’art impossible ».

C’est une question même, mais celle-ci plus personnelle, particulière aux philosophes et plus particulière encore à Nietzsche lui-même, que de savoir jusqu’à quel point il faut être clair, ou plutôt de quelle manière il faut l’être, et en quelles matières plus ou moins. Nietzsche n’est pas suspect en ceci. Il a adoré la clarté grecque et la clarté française. Il a considéré la clarté comme la loyauté du philosophe. Il a été lui-même, le plus souvent, souverainement clair, parce qu’il avait une haute probité intellectuelle. Il s’est écrié avec ravissement en songeant à Schopenhauer et surtout à lui-même : « Et enfin nous devenons clairs ! » Mais encore il connaît les nuances, les mesures et les espèces, et il sait qu’il y a une clarté décevante et un clair-obscur suggestif et qu’il y a des cas où sied un peu de pénombre et d’autres où convient un coup de clarté vif, mais rapide. La page où il dit tout cela, à