Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/314

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la fois d’un philosophe, d’un artiste et d’un humoriste, et que Renan aurait pu signer et Sterne aussi, est une des plus justes et aussi une des plus jolies qu’il ait écrites, avec un grain seulement de paradoxe, et ceci encore dans la mesure juste : « On veut, non seulement être compris lorsqu’on écrit, mais encore n’être pas compris. Ce n’est point une objection contre un livre quand il y a quelqu’un qui le trouve incompréhensible : peut-être cela faisait-il partie des intentions de l’auteur de ne pas être compris de n’importe qui. Tout esprit distingué, qui a un goût distingué, choisit ainsi ses auditeurs lorsqu’il veut se communiquer. En les choisissant, il se gare contre les autres. Toutes les règles subtiles d’un style ont là leur origine : elles éloignent en même temps, elles créent la distance, elles défendent l’entrée, tandis qu’elles ouvrent les oreilles de ceux qui nous sont parents par l’oreille. Et, pour le dire entre nous et dans mon cas particulier, je ne veux me laisser empêcher ni par mon ignorance, ni par la vivacité de mon tempérament, d’être compréhensible pour vous, mes amis, bien que ma vivacité me force, pour pouvoir m’approcher d’une chose, de m’en approcher rapidement. Car j’agis avec les problèmes profonds comme avec un bain froid — y entrer vite, en sortir vite. Croire que de cette façon on n’entre pas dans les profon-