Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/317

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rait désirer de meilleur que d’être un bon danseur. Car la danse est son idéal, son art particulier et finalement aussi sa seule piété, son culte… »

Oui, Sterne aurait dit cela plus nonchalamment, Renan plus discrètement, Henri Heine à peu près de la même manière, encore qu’avec plus d’éclat, mais il y a bien là un parloir où causent en souriant Sterne, Renan, Henri Heine et Nietzsche.

Aussi bien Nietzsche est de cette race — internationale — fine, enjouée, ironique, humoristique et, malgré sa passion pour la force, ennemi juré de la brutalité, qui n’est pas du tout la même chose. Dans son rêve d’une élite surhumaine qui serait délibérément conquérante et oppressive, il fait toujours entrer les belles manières. La vulgarité et la violence d’une partie de l’art actuel lui fait horreur et aussi lui fait plaisir en ce qu’elle pourrait bien avoir son contre-coup sur le fond même, sur les mœurs elles-mêmes, et créer peu à peu un peuple de sauvages sur lequel régnerait facilement une élite forte et polie. Il compare à ce point de vue, comme il fait souvent à tant d’autres, les trois siècles, et il constate une décadence qui, pour les raisons que je viens de dire, à la fois lui répugne et le chatouille : « Si l’on s’interdit continuellement l’expression des passions, comme quelque chose qu’il faut laisser au vulgaire,