Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/318

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aux natures plus grossières, bourgeoises et paysannes ; si l’on veut, donc, non refréner les passions elles-mêmes, mais leur langage et leurs gestes ; on atteint néanmoins en même temps ce que l’on ne songe pas à atteindre, la répression des passions elles-mêmes, du moins leur affaiblissement et leur transformation, comme il est advenu, exemple instructif, de la cour de Louis XIV et de tout ce qui en dépendait. L’époque suivante, élevée à mettre un frein aux formes extérieures, avait perdu les passions elles-mêmes et pris, par contre, une allure élégante, superficielle, badine, époque tellement atteinte de l’incapacité d’être malhonnête que même une offense n’était reçue et rendue qu’avec des paroles courtoises. Peut-être notre époque offre-t-elle une singulière contre-partie de cela : je vois partout, dans la vie et au théâtre et non pour le moins dans tout ce qu’on écrit, le sentiment de bien-être que causent toutes les irruptions grossières, tous les gestes vulgaires de la passion. On exige maintenant une certaine convention du caractère passionné ; mais à aucun prix on ne voudrait la passion elle-même ! Malgré cela, on finira par l’atteindre et nos descendants posséderont une sauvagerie véritable et non pas seulement la sauvagerie et la grossièreté des manières. »