Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/323

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qu’elle engendre, cette disposition où le cœur ne tient pas plus à la vie qu’une goutte d’eau au verre. Ce n’est pas la faute et ses conséquences fâcheuses qui les intéressent, Shakspeare tout aussi peu que Sophocle (Ajax, Philoctète, Œdipe) ; bien qu’il eût été facile, dans les cas indiqués, de faire de la faute le levier du drame, on évite cela expressément. De même le poète tragique, par ses images de la vie, ne veut pas prévenir contre la vie. Il s’écrie au contraire : c’est le charme de tous les charmes, cette existence agitée, changeante, dangereuse, sombre et souvent ardemment ensoleillée. Vivre est une aventure ; prenez dans la vie tel parti ou tel autre, toujours elle gardera ce caractère ! — C’est ainsi qu’il parle en une époque inquiète et vigoureuse, qui est presque ivre et stupéfiée par sa surabondance de sang et d’énergie, en une époque bien pire que la nôtre Et voilà pourquoi nous avons besoin de nous accommoder commodément le but d’un drame de Shakspeare, c’est-à-dire de ne le point comprendre. »

Le théâtre ne fait pas détester les fautes qu’il représente, il les fait aimer par ceux qui y sont portés, en les idéalisant même par le malheur, même par la mort. Il ne les fait détester que par ceux qui les détestent déjà, et qui ne peuvent puiser une leçon morale dans ce grand poème qu’à