Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la condition de n’en être pas touchés. Le théâtre, donc, ne moralise que ceux qu’il ennuie.

Quant à Corneille, on devine assez que Nietzsche devait l’adorer. Il y trouvait son « surhumain » ou son « surhomme » à toutes les pages, et s’il eût été jaloux, il l’eût détesté en s’écriant : « Que d’idées cet homme m’a volées ! » Cent passages de Nietzsche sont des allusions au théâtre de Corneille ; et réciproquement, ce qui fait honneur à tous deux, on ferait un excellent commentaire perpétuel de Corneille avec des textes de Nietzsche. Je ne rapporterai ici que les deux passages essentiels de Nietzsche sur Corneille, l’un caractérisant le génie cornélien en général, l’autre inspiré évidemment par une lecture de Cinna et montrant quel profond psychologue des grandes âmes et quel historien de la « race supérieure » fut Corneille :

« On me dit que notre art s’adresse aux hommes d’à présent, avides, insatiables, dégoûtés, tourmentés, et qu’il leur montre une image de la béatitude, de l’élévation, de la sublimité, à côté de l’image de leur laideur, afin qu’il leur soit possible d’oublier une fois et de respirer librement, peut-être même de rapporter de cet oubli une incitation à la fuite et à la conversion. Pauvres artistes qui ont un pareil public ! Avec de telles arrière-pensées, qui tiennent du prêtre et du