Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/347

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est coupable s’il fait servir l’art à la corruption des hommes ; le politique est coupable, si, sous prétexte de bien public, il se livre à des actes immoraux qui n’ont pas pour objet le bien public, mais le sien ou celui de son parti.

La morale du savant, de l’artiste et du politique, en tant que savant, artiste et politique, c’est de n’être pas immoral, ce n’est point du tout de se mettre au service de la moralité et de produire de la moralité dans le monde. S’ils y réussissent, ce qui du reste arrivera souvent, ce sera tant mieux ; mais ils n’ont pas à le chercher. Le mot de Gœthe est le vrai : « Je ne me suis jamais occupé des effets de mes œuvres d’art. Je crois bien qu’en définitive elles ont plutôt été utiles ; mais ce n’est pas à ce point de vue que j’avais à me placer. » L’artiste crée du beau, le savant découvre du vrai, la politique crée du bien public. Il est probable, quoique je n’en sache rien, mais je le crois, que tout cela, en dernier terme, profitera à la morale ; mais, en soi, ce n’est pas de la morale, et à vouloir que cela en fût, l’artiste, le savant et le politique se paralyseraient, se stériliseraient, se glaceraient et ne feraient rien qui valût ; comme du reste, s’ils avaient l’idée contraire et s’ils se laissaient pousser par une immoralité secrète et intime — et ici il y a identité des contradictoires — ils feraient œuvre, aussi,