Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/36

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qu’après cette désillusion, j’allais être condamné à me défier plus encore, à mépriser plus profondément, à être plus absolument seul que jamais… Je pris alors, et non sans colère, parti contre[1] moi-même et pour[2] tout ce qui justement me faisait mal et m’était pénible… Cet événement de ma vie — l’histoire d’une maladie et d’une guérison ; car cela finit par une guérison — n’a-t-il été qu’un événement à moi personnel ? Cela n’a-t-il été que mon « humain, trop humain » ? Je suis tenté de croire aujourd’hui le contraire… Je recommande mes livres de voyage à ceux qui s’affligent d’un passé et qui ont assez d’esprit de reste pour souffrir aussi de l’esprit de leur passé. Avant tout à vous, qui avez la tâche la plus dure, hommes rares, intellectuels courageux, vous les plus exposés de tous, qui devez être la conscience de l’âme moderne et, comme tels, posséder sa science, vous chez qui se rassemble tout ce qu’il peut y avoir aujourd’hui de maladies, de poisons, de dangers ; vous dont c’est la destinée d’être plus malades que n’importe quel individu, parce que vous n’êtes pas seulement des individus ; vous dont c’est la consolation de connaître le chemin d’une santé nouvelle et, hélas, de suivre ce chemin… »

  1. Souligné par Nietzsche.
  2. Id.