Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/55

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Et comment s’entendrait-on à bien rire et à bien vivre, si l’on ne s’entendait pas d’abord à la guerre et à la victoire ? »

Il faut avoir dans la recherche de la vérité, non seulement la loyauté, la probité, mais le scrupule de la probité. Il faut tellement aimer la vérité pour elle, quelle qu’elle puisse être, qu’il faut, non seulement ne pas l’aimer pour soi, mais contre soi. Il faut toujours se contredire — explication qui serait suffisante des innombrables contradictions de Nietzsche ; il se contredit par loyauté ; il n’efface pas l’objection qu’il se fait. — Il faut toujours accueillir le contraire de sa pensée et examiner ce que ce contraire peut valoir. « Ne jamais rien retenir ou taire devant toi-même de ce qu’on pourrait opposer à tes pensées ! Fais-en le vœu ! Cela fait partie de la première probité du penseur. Il faut que chaque jour tu fasses aussi ta campagne contre toi-même. Une victoire ou la prise d’une redoute ne sont plus ton affaire à toi ; mais l’affaire de la vérité — et ta défaite à toi, elle aussi, n’est plus ton affaire. »

Mais cette loyauté dans la recherche de la connaissance est extrêmement rare chez les hommes. En général ils veulent se tromper et être trompés. À quoi cela leur sert-il ? À ne pas se donner de peine personnellement, il est vrai ; mais très pro-