Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/67

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rait-on dire, et cet état, antinaturel et antiesthétique, se croit adorable, s’affirme adorable et se fait adorer ; il est la « nouvelle idole ». Il se fait adorer, comme un sanctuaire d’oracle antique, sur un mensonge, du moins sur une contre-vérité à laquelle il croit peut-être et à laquelle la foule croit. Il se dit le peuple, il s’appelle le peuple et précisément il est le contraire : « L’État c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement et voici le mensonge qui rampe dans sa bouche : « Moi, l’État, je suis le Peuple. » C’est un mensonge ! Ils étaient des créateurs ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour ; ainsi ils servaient la vie. Mais ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent sur eux un glaive et cent appétits. »

Voilà bien l’État moderne : il persuade au peuple qu’il sort du peuple et qu’il est le peuple ; et, sous ce prétexte, au lieu de le hausser vers quelque chose de grand, il l’abaisse en l’adulant ; au lieu de le réveiller et de le susciter, il l’endort ; au lieu de le discipliner, il le dissémine et le pulvérise ou le laisse dans sa dissémination et sa pulvérulence naturelles ; et c’est pour faire tout cela qu’il veut qu’on l’adore et qu’il « hurle, le monstre » : « Il n’y a