Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien de plus grand que moi sur la terre et je suis le doigt ordonnateur de Dieu. »

Et, où, s’il vous plaît, tout cela conduit-il, peut-il conduire, doit-il conduire ? Les sociétés modernes, avec leur goût du grand nombre, du toujours plus grand nombre, et de la médiocrité et de la platitude, et l’État-idole avec son goût pour l’uniformité et sa haine naturelle de toute supériorité individuelle, l’État-canaille en un mot, tout cela n’est pas autre chose qu’un plus ou moins lent suicide de l’humanité. « L’État [tel que nous venons de le définir] est partout où tous, bons et mauvais, absorbent des poisons ; l’État est partout où tous, bons et mauvais, se perdent eux-mêmes ; l’État est partout où le lent suicide de tous s’appelle la Vie, »

Si l’on se figure, pour peu que les choses durent ainsi, ce que les hommes deviendront à ce régime, on les voit ainsi dans un lointain avenir, prochain peut-être : « Je passe au milieu de ce peuple et je tiens mes yeux ouverts : ils sont devenus plus petits et ils continuent à devenir toujours plus petits. C’est leur doctrine du bonheur et de la vertu qui en est la cause… Ils s’en vont clopin-clopant et c’est ainsi qu’ils sont un obstacle à ceux qui se hâtent… Quelques-uns veulent, la plupart sont voulus… Ils sont ronds, loyaux et bienveillants les uns envers les autres comme les grains de