Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/69

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sable sont ronds, loyaux et bienveillants envers les grains de sable. Embrasser modestement un petit bonheur, c’est ce qu’ils appellent résignation, et du même coup ils louchent déjà modestement vers un nouveau petit bonheur… Ils n’ont au fond qu’un désir : que personne ne leur fasse du mal ; cela s’appelle vertu et c’est de la lâcheté… La vertu c’est pour eux ce qui rend modeste et apprivoisé : c’est ainsi qu’ils ont fait du loup un chien et de l’homme même le meilleur animal domestique de l’homme… Et c’est là de la médiocrité, bien que cela s’appelle modération. »

Voyez-les bien tels qu’ils seront demain. Ils auront découvert le bonheur ; ils en seront très persuadés, et en effet ils auront découvert ce qu’ils cherchent maintenant et qui n’est pas difficile du tout à trouver et qu’ils appellent par avance le bonheur et qui est une chose à donner quelque nausée : « Je vous montre le dernier homme. Il dit : « Qu’est-ce que l’amour, la création, le désir ? Qu’est-ce que l’étoile ? » Et il clignote. » — « Nous avons découvert le bonheur », disent les derniers hommes, « et ils clignotent. Ils ont délaissé les contrées où l’on vit durement ; car on a besoin de chaleur. On aime aussi le voisin et l’on se frotte contre lui ; car on a besoin de chaleur… On travaille encore ; car le travail est une distraction. Mais l’on