Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/96

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garité, c’est le propre des âmes les plus vulgaires que de considérer toujours son ennemi comme mauvais, comme méchant. Faites attention à cela. Ennemi, soit ; mais l’ennemi est nécessaire à la vie, à toute vie, et l’être qu’on supposerait sans ennemi serait un être très malheureux, très bas, tout proche du non être. — Et enfin et surtout, le Christianisme, en faisant de l’amour et un péché et un mystérieux et redoutable ennemi, l’a poétisé, l’a divinisé, en a fait une volupté dont on rêve avec des délices mêlées de frisson et dont, par conséquent, on rêve toujours ; et donc, en prétendant détruire l’amour, il l’a créé. « Cette diabolisation d’Éros a fini par avoir un dénouement de comédie : le « démon » Éros est devenu peu à peu plus intéressant que les anges et les saints, grâce aux cachotteries et aux allures mystérieuses de l’Église dans toutes les choses érotiques. C’est grâce à l’Église que les affaires d’amour devinrent le seul intérêt véritable commun à tous les milieux, avec une exagération qui aurait paru inintelligible à l’antiquité et qui ne manquera pas un jour de faire rire. Toute notre poésie, du plus haut au plus bas, est marquée et plus que marquée par l’importance diffuse que l’on donne à l’amour, présenté toujours comme événement principal. Peut-être, à cause de ce jugement, la postérité trouvera à tout l’héri-