Il parut donc enfin, avec ses huit mille hommes fatigués d’une si longue marche, devant un camp de quatre-vingt mille Russes bordé de cent cinquante canons.
À peine ses troupes eurent-elles pris quelque repos, que, sans délibérer, il donna ses ordres pour l’attaque. Le signal était deux fusées, et le mot allemand : Avec l’aide de Dieu. Un officier général lui ayant représenté la grandeur du péril : « Quoi ! vous doutez, dit-il, qu’avec mes huit mille braves Suédois je ne passe sur le corps à quatre-vingt mille Moscovites ? » Un moment après, craignant qu’il n’y eût un peu de fanfaronnade dans ces paroles, il courut après cet officier : « N’êtes-vous pas de mon avis ? lui dit-il ; n’ai-je pas deux avantages sur les ennemis ? l’un, que leur cavalerie ne pourra leur servir, et l’autre, que le lieu étant resserré, leur grand nombre ne fera que les incommoder ? Et ainsi je serai réellement plus fort qu’eux. »
L’officier n’eut garde d’être d’un autre avis, et l’on marcha aux Moscovites à midi, le 30 novembre 1700.
Dès que le canon des Suédois eut fait brèche aux retranchements, ils s’avancèrent la baïonnette au bout du fusil, ayant au dos une neige furieuse qui donnait au visage des ennemis. Les Russes se firent tuer pendant une demi-heure sans quitter le revers des fossés. Le roi attaquait à droite du camp où était le quartier du czar ; il espérait le rencontrer, ne sachant pas que l’empereur lui-même avait été chercher ces quarante mille hommes qui devaient arriver dans peu.
Aux premières décharges de la mousqueterie ennemie, le roi reçut une balle à la gorge ; mais c’était une balle morte, qui s’arrêta dans les plis de sa cravate noire et qui ne lui fit aucun mal. Son cheval fut tué sous lui. M. de Sparre m’a dit que le roi sauta légèrement sur un autre cheval en disant : « Ces gens-ci me font faire mes exercices ; » et continua de combattre et de donner des ordres avec la même présence d’esprit.
Après trois heures de combat, les retranchements furent