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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/156

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Voltaire

yeux : voilà ce qui excitait et enflammait son ardeur et son émulation.

Ces deux éléments nouveaux, ou relativement nouveaux, comme on voit, puisqu’il les empruntait eux-mêmes à certaines tragédies classiques, il a voulu les ajouter au drame tel qu’il était connu jusqu’alors, et il y a réussi.

En un mot, il a fait des tragédies qui étaient des mélodrames à spectacle. Il répondait parfaitement aux aspirations secrètes du public de son temps, et voilà pourquoi il a été mis par tous ses contemporains à côté de Sophocle, d’Euripide, de Corneille, et de Racine, et quelquefois au-dessus.

Mais deux choses essentielles pour durer très longtemps lui manquaient essentiellement.

La première c’était la langue et le style vraiment théâtral. Voltaire n’est jamais grand poète, et il est rarement grand orateur. La poésie et l’éloquence sont nécessaires dans le grand drame. Le théâtre demande ou une certaine poésie captivante et séduisante qui dispense de l’éloquence, ou une certaine magnificence oratoire qui dispense du charme poétique, ou tous les deux à la fois, ce qui, comme on pense, se rencontre rarement.

Voltaire n’avait ni l’un ni l’autre, et croyait que l’un et l’autre doivent être étrangers au théâtre, opinion qui était du reste, à très peu près, celle de tout son temps. Aussi ses pièces sont écrites le plus souvent dans une langue qui n’est ni mauvaise ni bonne, qui est indifférente. C’est une langue de convention. Elle n’est pas, plus de Voltaire que de du Belloy[1] ; elle est de ceux qui font des tragédies en 1750. Il est étonnant même à quel

  1. Tragique du temps, auteur du Siège de Calais.