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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/162

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Voltaire

Il vaut mieux sur mes sens reprendre un juste empire ;
Il vaut mieux oublier jusqu’au nom de Zaïre.
Allons ! que le sérail soit fermé pour jamais ;
Que la terreur habite aux portes du palais ;
Que tout ressente ici le frein de l’esclavage.
Des rois de l’Orient suivons l’antique usage.
On peut, pour son esclave oubliant sa fierté,
Laisser tomber sur elle un regard de bonté ;
Mais il est trop honteux de craindre une maîtresse ;
Aux mœurs de l’Occident laissons cette bassesse.
Ce sexe dangereux, qui veut tout asservir,
S’il règne dans l’Europe, ici doit obéir.

Quand le vieux Lusignan retrouve sa fille (Zaïre), devenue musulmane par suite de singulières aventures, et veut la ramener à la religion de ses ancêtres, il a des accents qui rappellent ceux de Mardochée parlant à Esther :

Mon Dieu ! j’ai combattu soixante ans pour ta gloire ;
J’ai vu tomber ton temple, et périr ta mémoire ;
Dans un cachot affreux abandonné vingt ans,
Mes larmes t’imploraient pour mes tristes enfants ;
Et lorsque ma famille est par toi réunie,
Quand je trouve une fille, elle est ton ennemie !
Je suis bien malheureux. C’est ton père, c’est moi.
C’est ma seule prison qui l’a ravi ta foi.
Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,
Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines :
C’est le sang de vingt rois tous chrétiens comme moi ;
C’est le sang des héros défenseurs de ma loi ;
C’est le sang des martyrs !… fille encor trop chère !
Connais-tu ton destin ? Sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu’à l’instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour.
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t’es donnée !
Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,
T’ouvrent leurs bras sanglants, tendus du haut des cieux :