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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/170

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Voltaire

Il s’ensuit que les comédies de Voltaire, bien inférieures à ses bonnes tragédies comme fond, leur sont très supérieures comme forme. Il s’ensuit aussi, où il ne faudrait pas se tromper, que, à prendre connaissance des comédies de Voltaire par extraits, on peut en garder une bien meilleure opinion que de ses tragédies. Ce n’est qu’une apparence. Dans les extraits, c’est précisément le fond, à savoir la conception générale et la charpente dramatique, qui disparaît ; et au théâtre, encore que la forme soit beaucoup, le fond est l’essentiel. Il convient, même dans un livre d’extraits, et surtout là, de prévenir que la lecture par morceaux choisis est une nécessité souvent, mais a toujours quelques inconvénients. C’est un pis aller, que nous tâchons de rendre aussi bon que possible.

Voici, par exemple, Nanine, petit conte dialogué sentimental dans le genre de l’Ami Fritz. Elle est assez fastidieuse. Elle contient pourtant de très jolies pages.

La paysanne Nanine aime en secret son maître le comte d’Olban, comme la Victorine du Philosophe sans le savoir, et elle en est aimé. On lui fait comprendre à un certain moment qu’il faut qu’elle disparaisse ; elle en convient à moitié ; mais, le cœur bien gros, elle s’écrie :

 
Quelle douleur cuisante !
Quel embarras : quel tourment ! quel dessein !

Quels sentiments combattent dans mon sein :
Hélas ! je fuis le plus aimable maître !
En le fuyant je l’offense peut-être !
Mais, en restant, l’excès de ses bontés
M’attirerait trop de calamités,
Dans sa maison mettrait un trouble horrible.
Madame[1] croit qu’il est pour moi sensible,

  1. Cousine du comte.