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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/203

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nouvelles et romans en prose

Zadig vit combien il était dangereux d’être trop savant, et se promit bien, à la première occasion, de ne point dire ce qu’il avait vu. Cette occasion se trouva bientôt.

Un prisonnier d’État s’échappa ; il passa sous les fenêtres de sa maison. On interrogea Zadig ; il ne répondit rien ; mais on lui prouva qu’il avait regardé par la fenêtre. Il fut condamné pour ce crime à cinq cents onces d’or ; et il remercia ses juges de leur indulgence, selon la coutume de Babylone.

« Grand Dieu ! dit-il en lui-même, qu’on est à plaindre quand on se promène dans un bois où la chienne de la reine et le cheval du roi ont passé ! et qu’il est dangereux de se mettre à la fenêtre ! »

Voilà qui prouve assez bien la vanité de la science humaine, et le bourgeois gentilhomme dirait certainement, contrairement à ses principes habituels : « Oh ! la triste chose que de savoir quelque chose ! » Mais la vanité de la puissance humaine n’est pas moins bien démontrée dans l’anecdote suivante, qui a sur la précédente la supériorité d’être, en son fond, du moins, parfaitement authentique, et seulement arrangée et disposée habilement, comme il convient pour l’effet dramatique, par notre auteur.

L’ingénu Candide et le philosophe Martin, son ami, sont actuellement à Venise, et voici, entre autres choses non pas merveilleuses, comme on dit dans les rubriques de roman, mais très naturelles, ce qui leur arrive :

Un soir que Candide, suivi de Martin, allait se mettre à table avec les étrangers qui logeaient dans la même hôtellerie, un homme à visage couleur de suie l’aborda par derrière, et, le prenant par le bras, lui dit : « Soyez prêt à partir avec nous… n’y manquez pas.»

Il se retourne et voit Cacambo. Il fut sur le point de devenir fou de joie. Il embrasse son cher ami : « Nous partirons après souper, reprit Cacambo ; je ne peux vous en dire