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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/239

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conclusion

physique et religions disparaissant du monde, la morale suit. — Sans compter que la morale ayant suivi les religions dans leur exil, l’homme n’en continue pas moins de cabaler, de quereller, de batailler et de tuer pour des idées subtiles. C’est le propre de l’homme de tuer pour des idées qu’il ne comprend pas bien. Quand il ne tuera plus pour des idées religieuses, il tuera pour des idées politiques, et les idées religieuses avaient du moins cet avantage, que n’ont peut-être pas les idées politiques, de porter avec elles quelques idées morales. — Et du reste les idées subtiles de la politique disparaîtront aussi, peut-être, et alors l’homme tuera l’homme pour la simple satisfaction de ses appétits : aux guerres civiles politiques, qui ont succédé aux guerres civiles religieuses, succéderont les guerres de classes. Y voit-on un avantage ? n’en verrait-on pas un plutôt à ce que les hommes ne se fissent la guerre au moins que pour des causes nobles ? Ce n’est pas que j’y tienne, ni à ce qu’ils se la fassent pour quoi que ce soit. Je dis seulement que le progrès résultant de la disparition des religions n’est pas démontré.

C’est ce Voltaire-là qui s’est trompé. Il s’est trompé d’autant plus que ce qu’il attaquait là, déjà de son temps avait perdu à peu près toute sa force dangereuse et que les guerres civiles religieuses, au xviiie siècle, n’étaient plus à craindre. La religion qu’il attaquait n’avait donc plus, déjà, en elle, que ce qu’elle contenait de salutaire. Attaquer la religion catholique au xviiie siècle, à la fin du xviiie siècle, c’était faire exactement ce que Louis XIV avait fait contre les protestants par son absurde et odieuse révocation de l’Édit de Nantes : c’était combattre des ennemis qui n’étaient plus dangereux, comme pour le plaisir, et leur donner une certaine force ; on l’a bien vu depuis, en les combattant. Voltaire ici a suivi les traces de son héros, à l’inverse, mais c’était les suivre