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Page:Faguet - Voltaire, 1895.djvu/87

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ŒUVRES PHILOSOPHIQUES EN PROSE

un ouvrier ; donc cet univers est composé de ressorts, de moyens dont chacun a sa fin, découvre un ouvrier très puissant, très intelligent… Ma seule raison me prouve un être qui a arrangé la matière de ce monde… »

Dieu est. Surtout il faut qu’il soit. C’est extrêmement utile ; c’est nécessaire. La société n’existerait plus si la croyance en Dieu disparaissait. L’idée de Dieu n’est pas bonne parce qu’elle est vraie ; elle est vraie parce qu’elle est bonne. Tous les honnêtes gens ont besoin que Dieu existe. Il suffit : croyons qu’il est, et ne permettons pas qu’on en doute :

« Le grand objet, le grand intérêt, ce me semble, n’est pas d’argumenter en métaphysique ; mais de peser s’il faut, pour le bien commun de nous autres, animaux misérables et pensants, admettre un Dieu rémunérateur et vengeur, qui nous serve à la fois de frein et de consolation, ou rejeter cette idée, en nous abandonnant à nos calamités sans espérance et à nos crimes sans remords…. »

« Mon opinion est utile au genre humain ; la vôtre est funeste ; elle peut encourager Néron et Cartouche ; la mienne peut les réprimer… Dans le doute où nous sommes tous deux, je ne vous dis pas avec Pascal : Prenez le plus sûr ; il n’y a rien de sûr dans l’incertitude. Il ne s’agit pas ici de parier, mais d’examiner. De quoi s’agit-il ? De consoler notre malheureuse existence. Qui la console ? Vous ou moi ? Quand l’opinion que je soutiens n’aurait prévenu que dix assassinats, dix calomnies, dix jugements iniques sur la terre, je tiens que la terre entière doit l’embrasser. »

Voilà la grande raison qui doit décider tout. Dieu est d’utilité publique, Dieu est d’utilité sociale. Bayle s’est demandé si une société d’athées pourrait subsister. Elle pourrait subsister ; mais elle serait épouvantable :

« Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier : je