Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/11

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arracha à l’oubli et aux infidélités d’une transmission orale, les fit plus généralement connaître et assura leur immortalité en les faisant rédiger par écrit. La poésie lyrique fait entendre ses plus doux chants ; la poésie dramatique rejette ses langes et représente de nobles passions en un noble style ; les poëtes didactiques et moraux renferment dans des vers des pensées ingénieuses et profondes : la poésie est appelée au service de la philosophie. Les philosophes ioniens de l’école de Thalès expriment leurs doctrines dans des sentences simples, judicieuses et souvent revêtues d’une expression très-pittoresque : c’est l’âge d’or de la poésie grecque, mais il est bien court ; il finit à Alexandre. Démosthènes fut le dernier écrivain influent sur ses compatriotes, excitant leur énergie au profit de leur indépendance ; il les poussa aux armes ; il engagea la lutte de la liberté contre l’oppression ; il y laissa sa vie. Depuis lors les Grecs restèrent un peuple spirituel et civilisé : cette fleur exquise du langage, cette urbanité de manières, devenue proverbiale, furent encore leur privilège. En Égypte, sous les Ptolémées, ils devinrent même plus savans et plus profonds qu’ils ne l’avaient été sous le beau ciel de la Grèce ; mais l’idée inspiratrice de leurs efforts, ce qui donnait la vie et l’enthousiasme à leurs chants, n’existait plus : ils ne formaient plus une nation.

Telle est la littérature grecque : adoptant toutes les formes, toutes les idées ; reproduisant surtout la nature extérieure, dominée parfois par un sentiment d’amour de la patrie et de la liberté, rarement par l’idée de Dieu ; appelant les rhythmes les plus suaves et la musique d’une langue harmonieuse et accentuée à l’aide des impressions ; fille hautaine et indépendante de la forme du gouvernement, vivant par sa force et sans le secours des émotions politiques, sans le secours de ces grandes idées divines qui ont fait vibrer la lyre des prophètes à une date différente, avec un peuple différent, absolument semblable à la poésie italienne, qui peint pour peindre, qui chante pour chanter et qui rarement se hasarde à faire de Dieu ou de la société le principal sujet de ses poëmes.

L’influence de la littérature grecque doit donc être plus forte et plus générale que celle de la littérature hébraïque. Comme elle fait résonner les cordes de sa lyre, toutes les émotions tour à tour, elle était appelée à jouer un grand rôle dans l’éducation des peuples nés et élevés plus tard que le peuple grec.

La littérature latine elle-même ne fit que reproduire, calquer servilement tous les chefs-d’œuvre de la Grèce. L’imitation fut complète, parce que la supériorité de la Grèce fut de suite reconnue et constatée. Dès que les Latins eurent connu cette langue d’Homère, si douce, si harmonieuse, si merveilleusement propre à reproduire les inspirations les plus suaves et les plus grandioses, eux, qui ne connaissaient jusque-là que le rude axiome d’Ennius, s’éprirent d’amour pour toutes les qualités réunies de ce beau langage : dès lors ils avouèrent l’impuissance et l’âpreté de leur langage, ils empruntèrent à la langue grecque des expressions qui leur manquaient. La grâce du style attique leur parut digne d’envie, et ne pouvant l’atteindre, ils en rejetèrent la faute sur leur langue sourde, pauvre, sèche, difficile à manier, sans délicatesse et sans harmonie, cette langue qui, de l’aveu de Quintilien, ne peut sous le rapport de l’élocution présenter une ombre d’imitation (l. 12, c. 10). Les auteurs supérieurs de la littérature latine, les hommes qui voulurent développer leur talent de style, essayèrent de traduire du grec en latin : c’était pour eux une manière d’acquérir cette abondance et cette facilité d’élocution qui leur manquaient ; en outre, ils reconnaissaient aux orateurs grecs cet art d’éloquence qu’ils possédaient vraiment et qui consiste dans l’habile disposition des choses. Aussi L. Crassus, dans ses livres de l’Orateur, disait qu’il s’y était souvent exercé ; Cicéron le recommandait expressément en son propre nom, il joignit même l’exemple au précepte, il traduisit les ouvrages de Xénophon et de Platon, et ce fut par cette lutte hardie entre la mélodieuse délicatesse de la langue grecque et l’aspérité du style latin, qu’il parvint à conquérir ce nombre harmonieux de la phrase et cette habile et délicate disposition des mots à laquelle il a donné son nom. Messala, qui laissa parmi les Latins une si grande réputation, traduisit aussi plusieurs oraisons grecques, entre autres celle d’Hypéride pour Phryné. Quintilien nous cite cette traduction