comme un modèle de traduction intelligente et hardie.
Si nous voulions prouver par de nombreux exemples que la littérature latine tout entière a rendu hommage lige à la littérature grecque, il n’est pas de grand nom illustre chez les Romains qui ne pût nous en fournir une preuve éclatante. Outre les traductions de Xénophon et de Platon, publiées par l’orateur romain, nous devons encore mentionner celle que Cicéron avait faite des Philippiques de Démosthènes, monument précieux qui ne nous est pas parvenu et qui aurait pu nous faire comprendre la marche et les progrès de ce talent prodigieux. Virgile, sans compter ses continuels emprunts à Homère, a traduit tout son second chant de l’Énéide de Pisandre, poëte grec, lutte ambitieuse de beautés où la victoire reste si souvent au père de la poésie grecque. Properce nous dit qu’il initiait les Latins aux chœurs sacrés de Callimaque et de Philètes ( liv. 3, él. I) ; Catulle copie Sappho et Callimaque ; Térence résume tous les poëtes grecs et surtout Ménandre ; Horace imite chaque pièce et souvent tous les vers d’Alcée, de Pindare, d’Anacréon.
Tel est le rôle que la littérature latine fut obligée de subir pour s’élever jusqu’aux chefs-d’œuvre qu’elle a produits. Elle fut toujours un reflet d’une littérature étrangère : aussi elle ne fut pas utile ; elle ne conserva aucun des élémens primitifs qui constituent une nation, elle n’eut pas de caractère particulier : aucun lien ne la rattacha au passé, elle ne servit de refuge à aucune tradition : elle dénatura l’idiome pour l’améliorer et transporta à Rome ces mœurs de la civilisation grecque, douce et molle ; elle effémina l’Italie pour la livrer plus tard sans force et sans courage aux hordes du Nord qui venaient régénérer par le sang cette vieille race abattue.
En reconnaissant combien la littérature romaine a imité la littérature grecque et l’a servilement reproduite, nous devons cependant admettre dans quelques-unes de ses productions et dans quelques-uns de ses auteurs une pensée dominante et placée en dehors de l’influence étrangère ; mais pour la saisir et la comprendre, pour préciser les rapports et les différences qui existent entre ces deux littératures, il nous faut tracer les phases principales de leur développement ou du moins faire saillir en relief leurs traits caractéristiques.
Toutes les nations qui entrent tard dans l’histoire du monde reçoivent des nations civilisées avant elles et à titre d’héritage une grande partie de leur culture intellectuelle ; ce n’est point une transmission opérée d’une manière directe : le peuple qui imposé et le peuple qui reçoit cette influence l’ignorent également ; ils obéissent à une loi éternelle qui opère la fusion des races et des individus par des rapports mystérieux. La fraternité de l’espèce humaine se prouve par cette nécessité du contact ; elle est imprévue, elle se révèle brusquement et par une vive commotion ou bien elle marche par des voies détournées ; elle ne heurte aucune idée reçue, aucune forme d’état déjà accomplie : elle s’avance graduellement et se dévoile quand elle est arrivée. Ainsi un esprit supérieur aurait-il la conscience de l’influence d’une nation étrangère sur sa nation, il ne peut s’arrêter : toute l’énergie de son âme, toute la force de son esprit, toute l’activité de son intelligence s’useront inutilement à ce labeur. Il sera bien donné à ses nobles efforts une certaine récompense : c’est de pouvoir s’arracher, lui, lui seul, à cette domination hardie et despotique ; mais nul autre ne le suivra dans son isolement. L’intelligence d’un homme ne peut pas avoir raison contre l’intelligence d’un peuple. Cet égoïsme d’une nation, qu’on appelle patriotisme, a des bornes réelles : il arriverait à l’erreur par l’exaltation ou à l’avilissement par les préjugés. Pour comprendre et pour reproduire, un peuple doit donc s’aider des progrès d’un autre peuple. L’imitation dangereuse, l’imitation qui tue, c’est celle qui, au lieu de saisir et de s’assimiler l’extension et la vie générale de l’esprit, suit avec anxiété les formes d’art particulières à une nation et qui conviennent rarement à une autre ; c’est celle qui veut mettre l’artifice à la place de la nature, qui veut produire ce qu’un autre a produit et comme il l’a produit.
Ce reproche peut s’adresser en partie à la littérature romaine. Elle semble avoir négligé les antiques traditions nationales et patrio-