Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/154

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au dehors sur l’immensité de la terre, et l’autre, dans l’intérieur du palais, attend que l’heure de son départ soit arrivée. Le Jour dispense aux mortels la lumière au loin étincelante, et la Nuit funeste, revêtue d’un sombre nuage, porte dans ses mains le Sommeil, frère de la Mort. Là demeurent les enfans de la Nuit obscure, le Sommeil et la Mort (45), divinités terribles que le soleil resplendissant n’éclaire jamais de ses rayons, soit qu’il monte vers le ciel, soit qu’il en redescende. Le Sommeil parcourt la terre et le vaste dos de la mer en se montrant toujours paisible et doux pour les humains. Mais la Mort a un cœur de fer ; une âme impitoyable respire dans sa poitrine d’airain ; le premier homme qu’elle a saisi, elle ne le lâche pas, et elle est odieuse même aux immortels.

Près de là se dressent les demeures retentissantes du puissant Pluton, dieu des enfers, et de la terrible Proserpine ; la porte en est confiée à la garde d’un chien hideux et cruel ; cet animal, par une méchante ruse, caresse tous ceux qui entrent en agitant sa queue et ses deux oreilles, mais il ne les laisse plus sortir, et les épiant avec soin, il dévore quiconque veut repasser le seuil du puissant Pluton et de la terrible Proserpine.

Là demeure encore la fille aînée de l’Océan au rapide reflux, la formidable Styx (46), reine abhorrée des immortels ; le beau palais qu’elle habite loin des autres dieux, s’élève couronné de rocs énormes et soutenu par des colonnes d’argent qui montent vers le ciel. Quelquefois la fille de Thaumas, Iris aux pieds légers, vole, messagère docile, sur le vaste dos de la mer lorsqu’une rivalité ou une dispute règne parmi les dieux. Si l’un des habitans de l’Olympe s’est rendu coupable d’un mensonge, Iris, envoyée par Jupiter pour consacrer le grand serment des dieux, va chercher au loin dans une aiguière d’or cette onde fameuse qui descend, toujours froide, du sommet d’une roche élevée. La plupart des flots du Styx, jaillissant de leur source sacrée, coulent sous les profondeurs de la terre immense, dans l’ombre de la nuit et deviennent un bras de l’Océan. La dixième partie en est réservée au serment : les neuf autres, serpentant autour de la terre et du vaste dos de la plaine liquide, vont se jeter dans la mer en formant mille tourbillons argentés, tandis que l’eau qui tombe du rocher sert au châtiment des dieux. Si l’un des immortels qui habitent le faîte du neigeux Olympe se parjure en répandant les libations, il languit pendant toute une année, privé du souffle de la vie ; ne savoure plus ni l’ambroisie ni le nectar, et reste étendu sur sa couche sans respiration, sans parole, plongé dans un fatal engourdissement. Lorsque, après une grande année, sa maladie a terminé son cours, il est condamné à des tourmens nouveaux : durant neuf années entières, il vit séparé des dieux immortels, sans jamais se mêler à leurs conseils ou à leurs banquets ; à la dixième année seulement il rentre dans l’assemblée de ces dieux habitans de l’Olympe. Ainsi les dieux consacrèrent au serment l’onde incorruptible du Styx, cette onde antique qui traverse des lieux hérissés de rochers.

Là sont tracées avec ordre les premières limites de la sombre terre, du ténébreux Tartare, de la stérile mer et du ciel étoilé, limites fatales, impures, abhorrées même par les dieux ! Là, on voit des portes de marbre et un seuil d’airain, inébranlable, appuyé sur des bases profondes et construit de lui-même. A l’entrée, loin de tous les dieux, demeurent les Titans, par delà le sombre chaos ; mais les illustres défenseurs de Jupiter, maître de la foudre, Cottus et Gygès habitent un palais aux sources de l’Océan. Quand au valeureux Briarée, le bruyant Neptune en a fait son gendre ; il lui a donné pour épouse sa fille Cymopolie. Lorsque Jupiter eut chassé du ciel les Titans, la vaste Terre, s’unissant au Tartare, grâce à Vénus à la parure d’or, engendra Typhoë, le dernier de ses enfans : les vigoureuses mains de ce dieu puissant travaillaient sans relâche et ses pieds étaient infatigables ; sur ses épaules se dressaient les cent têtes d’un horrible dragon, et chacune dardait une langue noire ; des yeux qui armaient ces monstrueuses têtes, jaillissait une flamme étincelante à travers leurs sourcils ; toutes, hideuses à voir, proféraient mille sons inexplicables et quelquefois si aigus que les dieux même pouvaient les entendre, tantôt la mugissante voix d’un taureau sauvage et indompté, tantôt le rugissement d’un lion au cœur farouche, souvent, ô prodige! les aboiemens d’un chien ou des clameurs perçantes dont retentissaient les hautes montagnes. Sans doute le jour de la naissance de Typhoë aurait été témoin d’un malheur inévitable ; il aurait usurpé l’empire sur les hommes et sur les dieux si leur père souverain n’eût tout à coup