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LE BOUCLIER D’HERCULE.




Ou telle (1), abandonnant sa maison et la terre de la patrie, la fille d’Électryon, de ce chef belliqueux des peuples, Alcmène (2) arriva dans Thèbes avec l’intrépide Amphitryon, Alcmène qui surpassait toutes les femmes au sein fécond par la beauté de son visage et par la grandeur de sa taille. Aucune de ces femmes que les mortelles enfantèrent en s’unissant à des époux mortels ne pouvait lui disputer le prix de la sagesse. Dans sa haute chevelure, dans ses noires paupières respirait une grâce (3) semblable à celle de Vénus à la parure d’or et, dans le fond de son cœur, elle aimait son époux comme jamais aucune femme n’avait aimé le sien. Cependant ce guerrier furieux en disputant des bœufs au noble père d’Alcmène, vainqueur l’avait fait périr par la force (4). Contraint de fuir sa patrie (5), il était venu dans Thèbes demander un asile aux enfans de Cadmus, porteurs de boucliers : c’est là qu’il demeurait avec sa pudique épouse, mais privé des aimables plaisirs de l’hyménée ; car il lui était défendu de monter sur la couche de la fille d’Électryon, d’Alcmène aux pieds charmans, avant d’avoir vengé le meurtre des généreux frères de son épouse et livré à la flamme dévorante les villages des belliqueux Taphiens (6) et des Téléboens. Telle était la loi de son hymen et les dieux en avaient été les garans ; dans la crainte de leur colère, il s’empressait d’accomplir sans retards le grand ouvrage que lui avait imposé la volonté céleste. Sur ses pas s’avançaient des soldats avides de guerre et de carnage, les Béotiens, ces dompteurs de chevaux, respirant par-dessus leurs boucliers, les Locriens habiles à combattre de près (7), et les magnanimes Phocéens : le noble enfant d’Alcée (8) marchait fier de ces peuples.

Mais le père des dieux et des hommes, concevant dans son âme un autre projet, voulait engendrer pour ces dieux et pour ces hommes industrieux un héros qui les défendît contre le malheur. Il s’élança de l’Olympe, méditant la ruse au fond de sa pensée et désirant coucher, une nuit, auprès d’une femme à la belle ceinture. Le prudent Jupiter se rendit sur le Typhaon (9), d’où il monta jusqu’à la plus haute cime du Phicius. Là il s’assit et roula encore dans son esprit ses merveilleux desseins. Durant la nuit il s’unit d’amour (10) avec la fille d’Électryon, Alcmène aux pieds charmans et satisfit son désir. Cette même nuit, le chef belliqueux des peuples, Amphitryon, cet illustre héros, content d’avoir terminé son grand ouvrage, revint dans sa maison. Avant de visiter ses esclaves et les rustiques gardiens de ses troupeaux (11), il monta sur la couche de son épouse, tant une violente passion agitait le cœur de ce pasteur des peuples ! Tel un homme (12) échappe plein de joie aux tourmens d’une douloureuse maladie ou d’un cruel esclavage : ainsi Amphitryon, délivré d’une entreprise difficile, rentra dans sa maison avec empressement et avec plaisir. Toute la nuit il coucha près de sa pudique épouse, jouissant des présens de Vénus à la parure d’or. Amoureusement domptée par un dieu et par le plus illustre des mortels, Alcmène enfanta dans Thèbes aux sept portes des jumeaux doués d’un esprit différent, quoique frères ; l’un inférieur au reste des hommes, l’autre courageux et terrible parmi tous les héros, le puissant Hercule. Tous deux avaient été engendrés, Hercule par Jupiter, qui rassemble les sombres nuages, Iphiclès par Amphitryon, chef belliqueux des peuples. Leur origine n’était pas la même : leur mère avait conçu l’un d’un mortel et l’autre du fils de Saturne, de Jupiter, maître de tous les dieux (13).

Hercule tua le fils de Mars, le magnanime Cycnus (14). Dans un bois consacré à Apollon qui lance au loin ses traits, il trouva Cycnus et Mars, son père, ce dieu insatiable de combats, couverts d’armes étincelantes comme les éclairs de la flamme, et debout sur un char. Leurs agiles coursiers frappaient du pied la terre, et sous les pas de ces coursiers la poussière tourbillonnait autour du char magnifique dont leur rapide vol faisait retentir les roues. Le brave Cycnus se réjouissait, espérant immoler le belliqueux enfant de Jupiter avec son écuyer et les dépouiller de leur glorieuse ar-