Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/222

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Mais évitons d’aiguiser les traits de la médisance ; j’ai vu le mordant Archiloque avant moi, souvent réduit à une extrême indigence pour avoir exhalé le venin de sa malice et de sa haine. Préférons mille fois à tous les biens d’honorables possessions heureusement unies à la sagesse. Telles sont celles qui sont en ta puissance, ô Hiéron ! Ta main libérale peut les répandre au gré de ta générosité, car tu domines sur de florissantes cités couronnées de remparts et sur des peuples nombreux. Oui, il serait égaré par la démence celui qui oserait avancer que jamais dans la Grèce quelque héros t’ait surpassé en richesses et en gloire.

Je monterai sur ta flotte ornée de fleurs, et là je célébrerai tes exploits sur les ondes : je redirai aussi cette ardeur martiale qui, dans plus d’un combat sanglant, signala tes jeunes années, et les lauriers que tu cueillis, tantôt monté sur un impétueux coursier, tantôt à pied guidant au milieu de la mêlée tes intrépides phalanges. Enfin, je chanterai la prudence et les sages conseils de ton âge mûr, qui maintenant mettent à l’abri du soupçon et mes louanges et mes chants.

Prince généreux, reçois donc mon hommage, et que cet hymne te soit aussi agréable que les dons précieux que les mers t’apportent du rivage de la Phénicie ! Je l’ai composé, selon tes désirs, sur le mode éolien ; puissent les sons mélodieux de la lyre à sept cordes lui prêter un charme qui captive ton oreille.

Marche sans cesse dans le sentier de la vertu, et ne crois pas au langage des flatteurs. Un prince est toujours grand à leurs yeux, comme un singe est toujours beau pour des enfans. Ainsi Rhadamante fut heureux, parce que son cœur, riche des fruits de la sagesse, fut insensible aux discours artificieux dont les flatteurs séduisent les faibles mortels. Semblables au renard, ces hommes vils distillent sans cesse le noir venin de leur calomnie, également funestes à ceux qu’ils déchirent et à ceux qui les écoutent.

Mais que peut contre moi leur malice ? Comme le liège du pêcheur surnage à la surface des eaux sans jamais être englouti, de même je demeure immobile au-dessus des flots de la calomnie qu’ils soulèvent contre moi. Jamais les mensonges du fourbe ne trouvèrent crédit auprès de l’homme vertueux ; c’est en vain que ce reptile se replie de mille manières pour l’enlacer dans ses pièges… Loin de moi d’aussi viles attaques ! J’aime mon ami, je hais mon ennemi, et, comme un loup infatigable, je le poursuis dans les sentiers obliques et tortueux. Quelle que soit l’autorité qui régisse un empire, que le pouvoir soit le partage d’un seul, de la multitude turbulente ou d’un petit nombre de sages, celui dont la bouche ne trahit point la vérité est toujours digne du premier rang.

Bien coupable est le mortel qui se raidit contre les décrets des dieux ; eux seuls peuvent accorder les dons de la fortune aux uns, et ceux de la gloire aux autres. Mais la prospérité même n’adoucit pas l’envieux. L’insensé ! sa passion est un poids qui l’entraîne à sa perte, un cruel ulcère lui a rongé le cœur avant qu’il ait recueilli le fruit de ses trames criminelles. Il faut donc alléger par la patience le joug qui nous est imposé, et ne nous point irriter contre l’aiguillon. Pour moi, que les dieux m’accordent de couler mes jours dans la société des gens de bien et de consacrer mes chants à leur gloire !

III.

À HIERON.

Vainqueur au célès.

S’il m’était permis d’exprimer un vœu que tous les cœurs forment avec moi, je supplierais les dieux de rappeler à la vie Chiron, le fils de Phillyre. Centaure sauvage, mais ami de l’humanité, il régnerait encore dans les vallées du Pélion, ce divin rejeton de Saturne, tel qu’autrefois lorsqu’il y élevait le père de la Santé, Esculape, habile dans l’art de guérir les maladies qui affligent les mortels.

Esculape eut pour mère la fille de Phlegyos, riche en beaux coursiers. Atteinte par les traits dorés de Diane, qui servait le courroux d’Apollon, cette jeune beauté descendit hélas ! du lit nuptial dans la sombre demeure de Pluton avant d’avoir reçu les secours de la chaste Lucine ; tant est redoutable la colère des enfans de Jupiter !

Au mépris du dieu à la blonde chevelure, à qui elle s’était unie à l’insu de son père, et entraînée par l’égarement de son cœur, la Nymphe téméraire consentit à d’autres nœuds, quoiqu’elle portât déjà dans ses flancs le germe pur et sans tache de l’immortel qui l’avait