Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/229

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rent en lui un contradicteur. L’occasion ne se présente aux mortels que pour un instant ; Démophile sait la connaître, et quand il le faut la saisir en maître sans jamais la suivre en esclave.

Le plus cruel des maux est, dit-on, d’avoir connu le bonheur et les joies de la patrie et de se voir contraint par la dure nécessité aux rigueurs de l’exil. Ainsi comme un autre Atlas, privé de ses biens, privé des lieux qui l’ont vu naître, Démophile plie sous le poids du ciel qui l’accable. Mais espérons : Jupiter a délivré les Titans de leurs chaînes et souvent le pilote change ses voiles alors que le vent a cessé.

Après avoir épuisé la coupe du malheur, Démophile forme le vœu ardent de revoir enfin ses foyers et de retrouver, au milieu des festins donnés près de la fontaine d’Apollon, l’allégresse faite pour son jeune cœur. Sa lyre enfanterait de nouveau les sons les plus harmonieux au sein du repos et dans la compagnie des sages. Sans colère envers ses concitoyens, il ne saurait être en butte à leurs traits. Puisse-t-il, ô Arcésilas, te raconter quelle source de chants immortels il a trouvé dans Thèbes, où naguère il goûta les douceurs de l’hospitalité !

V.

À ARCÉSILAS,

Vainqueur à la course des chars.

Quelle n’est pas la puissance des richesses quand le mortel que la fortune en a comblé, sait comme toi, heureux Arcécilas, leur associer la vertu et par elles grossir la foule des amis qui l’entourent ! Dès tes premiers pas dans la carrière de la vie, tu as vu les dieux te prodiguer leurs faveurs ; mais ta générosité en a fait un usage glorieux en les consacrant à rehausser la pompe des jeux que chérit Castor au char éclatant. En retour, ce demi-dieu, après avoir dissipé les nuages et la tempête, a fait luire sur ta maison fortunée les doux rayons du bonheur et de la paix.

Le sage soutient mieux que tout autre l’éclat de cette puissance que les dieux lui confient. Ainsi, Arcésilas, c’est parce que tu marches dans les sentiers de la justice que tu jouis vraiment du bonheur, et comme souverain de cités opulentes, et comme honoré par la victoire que tes coursiers ont remportée dans Pytho, victoire que célèbrent cet hymne et ces danses légères, délices d’Apollon.

Mais tandis que les accens de la gloire retentissent dans les jardins délicieux de Cyrène, dans ces bosquets consacrés à Vénus, n’oublie pas de rapporter à la divinité, comme à son premier auteur, la félicité dont tu jouis. Chéris aussi entre tous tes amis Carrotus, qui, sans être escorté de la timide Excuse, fille de l’imprévoyant Épiméthée, est revenu victorieux dans l’antique demeure des enfans de Battus dont les peuples chérissent la justice.

Digne des honneurs de l’hospitalité qu’on lui a accordés près de la fontaine de Castalie, Carrotus, monté sur un char magnifique, a parcouru douze fois la carrière avec une étonnante rapidité et a conquis ces couronnes qui parent aujourd’hui ton front.

Les fatigues d’une course périlleuse n’ont enlevé à son char aucun des ornemens que l’art de l’ouvrier y avait prodigués ; mais tel il était naguère lorsque Carrotus descendait de la colline de Crisa, près de la vallée consacrée à Apollon, tel on le voit maintenant suspendu sous les portiques de Cypris, non loin de cette statue faite du tronc d’un seul arbre, que les Crétois élevèrent sur le sommet du Parnasse. Il est donc juste, ô Arcésilas ! qu’une prompte reconnaissance acquitte ce bienfait.

Et toi, fils d’Alexibius, quel n’est pas ton bonheur ! Les Grâces aux beaux cheveux rendent ton nom célèbre ; et après les mémorables travaux, mes chants élèvent à ta gloire un monument éternel. Quarante combattans, du haut de leurs chars en débris, ont été renversés dans l’arène ; toi seul, intrépide écuyer, as su arracher ton char au déshonneur, et de retour de ces illustres combats, tu as revu les champs de la Libye et la ville où tu reçus le jour.

Personne entre les mortels n’est exempt des travaux de la vie ; personne ne le sera jamais. Cependant l’heureuse destinée de Battus sourit encore à ses descendans et les protège ; elle est le rempart qui défend Cyrène et la source de cette gloire qui la rend chère aux étrangers. Jadis les lions saisis de crainte s’enfuirent devant Battus quand il vint dans leurs demeures conduit par un oracle prononcé au delà des mers. Apollon, dont il accomplissait les ordres, livra ces monstres à la terreur, pour qu’elle ne fût pas vaine et sans effet la promesse qu’il avait faite au fondateur de Cyrène.