Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/233

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du puissant Hypséus qui régnait alors sur les fiers Lapithes. Petit-fils de l’Océan, ce héros avait pour mère la naïade Créuse, fille de la Terre, qui l’avait eue du Pénée, dans les célèbres vallons du Pinde. Hypséus lui-même prit soin des jeunes années de la belle Cyrène, sa fille.

Jamais la jeune nymphe ne se plut à promener sur la toile la navette légère ni à se livrer avec ses compagnes aux soins domestiques des festins ; mais armée de ses flèches d’airain et d’un glaive meurtrier elle poursuivait les hôtes féroces des bois, les immolait sous ses coups et assurait ainsi la tranquillité des troupeaux de son père : à peine au lever de l’aurore le sommeil si doux aux mortels appesantissait quelques instans sa paupière.

Un jour le dieu qui lance au loin ses flèches, Apollon au vaste carquois la trouve luttant seule et sans armes contre un lion furieux. À cette vue il appelle le centaure Chiron : « Fils de Philyre, dit-il, sors de ton antre, viens admirer le courage et la force étonnante d’une jeune vierge ; vois avec quelle intrépidité son cœur, supérieur au danger et inaccessible à la crainte, soutient ce terrible combat. Quel mortel lui donna le jour ? De quelle tige est sorti ce rejeton qui, dans les sombres retraites de ces monts sourcilleux, se plaît à déployer tant de force ? Serait-il permis à une main illustre de s’en approcher pour cueillir cette fleur de beauté plus douce que le miel ? » À ces mots la gravité du centaure disparaît, un doux sourire déride son front et il répond au dieu du jour : « Apollon, la sage persuasion fait jouer des ressorts cachés pour servir les desseins d’une honnête passion, et les dieux comme les hommes rougiraient de ne pas couvrir du voile de la pudeur le mystère des premières amours. Aussi les paroles que tu viens de m’adresser, ô dieu que le mensonge ne peut jamais tromper, te sont-elles inspirées par ton aménité naturelle. Tu me demandes l’origine de cette nymphe ! toi qui connais l’impérieuse destinée de tous les êtres, toi qui comptes les feuilles que la terre au printemps fait éclore et les grains de sable que les flots et les vents roulent dans les fleuves et dans les mers, toi dont l’œil perçant découvre tout ce qui est, tout ce qui sera !

» Mais s’il m’est permis de comparer ma sagesse à la tienne, puisque tu l’ordonnes, je vais te répondre : — Le sort te conduit en ces lieux pour être l’époux de Cyrène et la transporter au delà des mers dans les délicieux jardins de Jupiter. Là, sur une colline qu’entourent de riches campagnes, s’élèvera une cité puissante, peuplée d’une colonie d’insulaires dont tu l’établiras souveraine. En ta faveur, la vaste et féconde Lybie recevra avec empressement dans ses palais dorés cette nymphe destinée à donner des lois à une contrée également célèbre par sa fertilité et par les animaux féroces qu’elle nourrit.

» Elle y mettra au jour un fils que Mercure ravira aux baisers de sa mère pour le confier aux soins de la Terre et des Heures aux trônes étincelans. Ces déesses recevront l’enfant divin sur leurs genoux, feront couler sur ses lèvres le nectar et l’ambroisie et le rendront immortel comme Jupiter et le chaste Apollon. Il sera la joie de ses amis, veillera à la garde de nombreux troupeaux, et son goût pour les travaux des chasseurs et des bergers lui méritera le nom d’Aristée. » Ainsi parla Chiron, et il exhortait Phébus à accomplir cet heureux hyménée.

Les voies des dieux sont courtes et l’exécution de leurs desseins rapide : un seul jour suffit à Apollon. Ce jour même la Lybie unit les deux époux sous les lambris dorés d’un palais somptueux. Bientôt Cyrène s’élève et Apollon se déclare le protecteur de cette cité que la gloire des jeux a si souvent illustrée.

Aujourd’hui le fils de Carnéas, vainqueur à Delphes, l’associe à sa fortune en faisant rejaillir sur elle l’éclat de son triomphe. Aussi de quelle allégresse ne tressaillera pas cette heureuse patrie, que peuplent tant de jeunes beautés, quand elle le verra revenir de Pytho couronné par la victoire !

Les grandes vertus prêtent à de pompeux éloges ; mais peu de paroles suffisent au sage, même dans un vaste sujet. Saisir l’à-propos est en toutes choses le plus grand mérite. Jadis Thèbes aux sept portes vit Iolas signaler son habileté dans cet art, alors qu’il revint, une heure seulement, à la fleur de l’âge pour faire tomber sous son glaive la tête d’Eurysthée, et que peu après il fut renfermé dans la tombe. On l’ensevelit non loin du monument d’Amphitryon, son aïeul paternel, habile à conduire les chars, et qui de Sparte était venu chez les enfans de Cadmus demander l’hospitalité. Amphitryon et Jupiter partagèrent la couche