pus et a donné sur d’autres des conjectures très-ingénieuses. On lui a reproché d’avoir inséré dans le texte plusieurs de ses conjectures. Peut-être la finesse de son goût et son zèle pour la pureté des auteurs l’ont-ils emporté quelquefois trop loin, mais ce n’est pas à moi qui ai souvent profité de ces mêmes conjectures à lui faire un reproche d’une hardiesse qui me paraît plus heureuse que blâmable.
Il me reste à dire un mot de ma traduction, et j’ai encore ici un nouvel hommage à rendre au savant Brunck. Ayant appris, il y a plusieurs années, que je travaillais à cet ouvrage, il me fit passer la traduction qu’il avait faite lui-même des trois premiers livres, accompagnée des notes d’un de ses amis. Il appelait tout cela ses broutilles sur Apollonius et me permit d’en faire l’usage que je voudrais. J’avais déjà achevé moi-même cette partie du poëme d’Apollonius et je travaillais sur le quatrième livre, plus long et plus difficile que les autres. Je parcourus avec avidité la traduction de Brunck et je recherchai d’abord les endroits les plus difficiles, surtout ceux dont son édition ne m’avait pas présenté la solution. J’ai adopté dans plusieurs de ces passages le sens que Brunck avait suivi, et j’ai laissé subsister le mien dans d’autres. Quant au reste de l’ouvrage, au style de la traduction et à la manière de rendre, je n’ai pas pu profiter beaucoup du travail de Brunck, qui, à ce qu’il m’a paru, n’était qu’une ébauche. On doit regretter que ce savant ne l’ait pas achevée.
Depuis qu’Apollonius est mieux connu, surtout en Allemagne et en Angleterre, plusieurs auteurs, à l’exemple des Varrons et des Valérius Flaccus, en ont donné des traductions, ou plutôt des imitations en vers. Des poètes anglais distingués en avaient déjà fait connaître plusieurs morceaux, lorsqu’il parut à Londres en 1780, deux traductions du poëme entier. L’une est de Francis Fawke, l’autre d’Edward Barnaby Greene. Il existe aussi une traduction du même auteur en vers allemands, et le prélat Flangini en a publié il y a quelques années une en vers italiens.
Après le siége de Troie, que les poésies d’Homère ont rendu si célèbre, il n’y a pas dans l’histoire des temps héroïques d’événement plus fameux que l’expédition des Argonautes. On pourrait dire même que cet événement aurait été chanté bien avant la colère d’Achille, si le poëme des Argonautiques, composé sous le nom d’Orphée, était véritablement du chantre de la Thrace. Mais les plus savans critiques l’attribuent au devin Onomacrite qui florissait sous Pisistrate, environ cinq cent soixante ans avant l’ère vulgaire[1]. Quoique cet ouvrage n’ait que le nom de poëme, puisqu’il est dépourvu des ornemens qui font le charme de la poésie, il ne laisse pas d’être précieux par son antiquité et par les notions géographiques qu’il renferme. Plusieurs siècles auparavant, Homère avait célébré le navire Argo, son passage entre Charybde et Scylla, l’amour de Junon pour Jason et la protection qu’elle accordait à son entreprise, principal ressort du poëme d’Apollonius, le séjour des Argonautes dans l’île de Lemnos ; les amours de Jason et d’Hypsipyle, fille du divin Thoas, n’ont point été inconnus au chantre d’Achille[2]. Il parle de Pélias, roi de la grande ville d’Ioleos, d’Orchomène, ville des Minyens, surnom donné aux Argonautes[3]. Il a fait entrer dans ses fictions le terrible Éétès et sa sœur Circé, tous deux enfans du Soleil et de Persé, fille de l’Océan[4], et il a adapté, selon Strabon, aux voyages d’Ulysse plusieurs circonstances de celui des Argonautes, telles que l’île d’Æa, dont le nom est celui de la capitale de la Colchide, et les rochers Planetæ ou errans, imaginés sur les rochers Cyanées qui rendent dangereuse l’entrée du Pont-Euxin[5].
Hésiode en traçant la généalogie de ses demi-dieux n’a point oublié de parler du voyage de Jason, du tyran Pélias et de l’enlèvement de Médée[6].
Mais aucun des plus célèbres poètes de l’antiquité ne s’est étendu davantage sur ce sujet que Pindare dans sa quatrième Pythique, adressée à Arcésilas, roi de Cyrène. Après avoir rappelé dans cette ode, l’origine de la ville de Cyrène fondée par Battus, un des descendans de l’Argonaute Euphémus à la dix-septième génération, il trace, dans la manière et dans le style qui conviennent au genre lyrique, l’histoire des Argonautes. Il s’étend surtout beaucoup sur Jason dont il fait une peinture sublime, sur ses exploits en Colchide et rapporte les deux circonstances du voyage qui ont Irait à l’histoire de Cyrène ; le séjour des héros dans l’île de Lemnos, où commença la postérité d’Euphémus et leur arrivée en Libye.
Outre le devin Onomacrite, dont j’ai parlé, plusieurs poëtes, qui ne nous sont connus que de nom, avaient traité le même sujet avant Apollonius. Le plus célèbre est Épiménide, de la ville de Gnosse, dans l’île de Crète, qui florissait plus de six cent cinquante ans avant l’ère vulgaire et dont le poëme contenait six mille cinq cents vers[7].
- ↑ Hérodote, 7, 6. Clém. Alex. Strom. I, Voss. de Poet. græc.
- ↑ Odys. VII, 468, XII, 70, XIV, 230, XXIII, 745.
- ↑ Ibid. XI, 255 et 258.
- ↑ Ibid. VII, 37, X, 135.
- ↑ Strabon, I, p. 21.
- ↑ Hésiode, Théog. v. 995.
- ↑ Diog. Laert. Voss. de Poet. græc. Id. de Hist. græc. On cite encore Cléon de Curium dans l’île de Crète, dont Apollonius avait emprunté beaucoup de choses, suivant le témoignage d’Asclépiade de Myrtée (rapporté dans la Scholie, I, 623.) Hérodote, et après Apollonius, Denys de Milet ou de Mitylène. (Giraldi, de Poet. hist. dial. IV, p. 245. Fabr. Bib. græc. 2, 522.) Mais il ne me paraît pas qu’ils aient écrit en vers, et l’ouvrage du dernier, intitulé Argonautiques, en six livres, était certainement en prose. (Suidas.)