Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/42

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dre duvet ne brunissait pas encore ses joues blanches au-dessus de son menton de roses. Mais il était encore enfant et Héraclès mettait en lui toutes ses complaisances.

Tels furent ceux qui se réunirent auprès du vaisseau pour l’expédition lointaine ; épars sur le rivage ils se haranguaient et s’exhortaient de part et d’autre. Puis le repas fut préparé et les nombreux convives s’assirent aussitôt à la table hospitalière, et chacun d’eux désirait l’accomplissement du grand œuvre. Lorsque leur cœur se fut rassasié de nourriture et de boisson, ils se levèrent tous de l’arène profonde, et se dirigeant vers le lieu où le vaisseau destiné à fendre les mers était tiré sur le sable, ils demeurèrent à sa vue saisis de stupeur. Alors fidèle aux conseils de la prudence, Argos se prépara à mettre en mouvement le navire avec des rouleaux de bois et des câbles bien tordus attachés à la proue ; et il appela ses guerriers à cette tâche pénible, leur donnant à tous des louanges. Et ceux-ci empressés d’obéir à sa voix, se dépouillèrent de leurs armes, et chacun attachant un câble autour de sa poitrine se courbait sur lui de tout le poids de son corps afin de mettre bientôt à flot Argo, ce navire doué du merveilleux don de la parole.

Mais le navire demeurait pesamment enfoncé dans le sable, et, retenu sur le sol par les algues desséchées, il refusait d’obéir aux mains puissantes des héros. Le cœur de Jason fut saisi de douleur : il jeta sur moi un regard pénétrant, et me fit signe de ranimer par mes accords le courage et la force de ses compagnons fatigués. Alors je tendis ma lyre, je répétai les chants harmonieux que j’avais appris de ma mère, et ma voix mélodieuse s’élança de mon sein.

« Héros, le plus noble sang des Minyens, courage ! Appuyez sur les câbles vos vigoureuses poitrines, portez-vous en avant d’un commun effort, affermissez vos pas sur la terre, tendez les muscles de vos pieds et que leur pointe se dresse sur le sol, et entraînez joyeusement le vaisseau sur la vague azurée.

» Argo, toi dont les flancs sont tissus de chênes et de sapins assujétis ensemble, écoute ma voix, car déjà tu l’as entendue lorsque je charmais par mes accens les arbres des épaisses forêts, et que les rochers inaccessibles, abandonnant les montagnes, descendaient à mes accents. Viens donc, avance-toi dans les sentiers de la mer parthénienne et hâte-toi de traverser les flots jusqu’aux rives du Phase. Viens, confiant dans la puissance de ma lyre et dans les paroles divines qui sortent de ma bouche. »

À ces mots frémit la grande poutre de hêtre, que l’habile Argos avait coupée sur le Mont-Tonnerre pour en former la quille du vaisseau, suivant les conseils de Pallas. Elle frémit et fit voir qu’elle avait entendu. Aussitôt elle se souleva, et, enlevant dans sa course les ais sur lesquels elle était appuyée, elle glissa rapidement vers la mer : le choc dispersa les rouleaux qu’on avait placés en ligne sous la carène et le navire descendit dans le port. Le flot azuré recula pour lui ouvrir un chemin, et les ondes rebondirent sur la plage. Jason se réjouit dans son cœur. Argos s’élança sur le vaisseau, Tiphys le suivit de près. Ils y placèrent toutes les choses nécessaires préparées par leurs soins, et le mât et les voiles ; ils attachèrent le gouvernail à la poupe, en le liant avec de fortes courroies ; puis, après avoir étendu les rames de part et d’autre, ils invitèrent les héros empressés à monter sur l’esquif. Alors le fils d’Æson leur adressa ces paroles qui volèrent sur l’aile des vents :

« Écoutez-moi, princes irréprochables, car je ne me soucie point de commander à de meilleurs que moi, choisissez pour chef celui que votre cœur désire ; que tous les soins du commandement lui soient confiés, que toute puissance lui appartienne en œuvres et en paroles pour nous guider dans notre course maritime, lorsque nous aurons touché la terre, puis dans la Kolchide, ou parmi d’autres nations. En effet, autour de moi seul vous êtes un grand nombre de guerriers vaillans, qui vous vantez de descendre d’une race divine et qui avez ambitionné une gloire commune, acquise par de longs travaux ; mais je ne crois pas qu’il soit un héros plus fort et plus vaillant que le puissant Héraclès : et vous aussi, vous le savez comme moi. »

Il dit et tous lui applaudirent, et du sein de la foule s’éleva un murmure approbateur ; une voix unanime pour placer Alcide à la tête des Minyens, Alcide qui, par sa valeur, l’emportait de beaucoup sur ses nombreux compagnons. Mais le héros inspiré ne céda point à leurs vœux, car il savait quels honneurs étaient réservés au noble fils d’Eson, dans les desseins de la déesse Héra, qui lui assurait une gloire immortelle à travers la postérité ; il décerna