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L’EXPÉDITION DES ARGONAUTES

ou

LA CONQUÊTE DE LA TOISON D’OR,

POÈME EN QUATRE CHANTS.




CHANT PREMIER.

Exposition du sujet : — Dénombrement des Argonautes. — Regrets d’Alcimède, mère de Jason. — Jason est élu chef de expédition. — On lance le vaisseau à la mer. — Sacrifice en l’honneur d’Apollon ; querelle entre deux des Argonautes ; Orphée chante en s’accompagnant de sa lyre. — Départ du vaisseau ; souhaits du centaure Chiron ; chants d’Orphée. — On aborde à l’île de Lemnos ; description du manteau de Jason. Départ de Lemnos ; adieux d’Hypsipile et de Jason. — On descend dans l’île de Samothrace et ensuite dans le pays des Dolions, sur les bords de la Propontide. — Combat contre des géans. — Les Argonautes ayant quitté le pays des Dolions y sont rejetés par les vents contraires : — La nuit empêche de se reconnaître ; on se bat. — Mort de Cyzique, roi des Dolions et de Clité son épouse. — Douleur des Argonautes ; sacrifice à Cybèle. — On aborde en Mysie, près du fleuve Cius. — Hylas est enlevé par une nymphe ; tandis qu’Hercule et Polyphème sont occupés à le chercher, le vaisseau part. — Colère de Télamon ; apparition de Glaucus.

C’est en t’invoquant, divin Apollon, que je commencerai à célébrer la gloire de ces anciens héros qui, par l’ordre du roi Pélias[1], firent voguer le navire Argo à travers l’embouchure du Pont-Euxin et les rochers Cyanées[2] pour conquérir une toison d’or.

Ton oracle avait prédit à Pélias qu’il périrait par les conseils d’un homme qu’il verrait paraître en public avec un seul brodequin. Peu de temps s’était écoulé depuis ta prédiction, lorsque Jason, traversant à pied l’Anaurus[3], laissa l’un des siens au fond du fleuve. Il se rendait alors à un sacrifice que Pélias offrait à Neptune et aux autres divinités. Junon seule n’était pas invoquée[4].

À la vue de Jason, Pélias se souvint de l’oracle ; et pour se soustraire au danger qui le menaçait, il commanda au héros d’entreprendre une navigation dangereuse, espérant qu’il périrait au milieu des mers ou des nations étrangères.

Argus, s’il faut en croire la renommée qui a transmis son nom d’âge en âge, construisit le vaisseau sous les ordres mêmes de Minerve ; pour moi, inspiré par les Muses, je dirai l’origine et le nom des héros qui le montèrent, les mers qu’ils parcoururent et les exploits par lesquels ils se signalèrent en errant sur divers rivages.

Orphée sera le premier objet de mes chants, Orphée, fruit des amours d’Éagrus[5] et de Calliope, qui lui donna le jour près du mont Pimplée[6]. Les rochers et les fleuves sont sensibles aux accens de sa voix, et les chênes de la Piérie, attirés par les doux sons de sa lyre, le suivent en foule sur le rivage de la Thrace, où ils attestent encore le pouvoir de son art enchanteur[7]. Ce fut par les conseils de Chiron que le fils d’Éson reçut au nombre de ses compagnons le chantre divin qui régnait sur les Bistoniens[8].

Astérion accourut un des premiers pour par-

  1. Roi d’Iolcos en Thessalie.
  2. Situés à l’entrée du Pont-Euxin.
  3. Rivière de Thessalie qui coulait près d’Iolcos.
  4. Pélias avait autrefois profané le temple de Junon et affectait depuis ce temps de mépriser cette déesse. Apollodore, liv. I. De là la haine de Junon contre Pélias, l’un des principaux ressorts de ce poëme.
  5. Roi de Thrace.
  6. Montagne de Macédoine située dans la contrée appelée Piérie, près du fleuve Hélicon. Il avait aussi un village et une fontaine du même nom. Strabon, liv. X. Tzetzès sur Lycophron, v. 275.

    Unde vocalem temere insecutæ
    Orphea sylvæ,
    Arte materna rapidos morantem
    Fluminum lapsus celeresque ventos,
    Blandum et auritas fidibus canoris
    Ducere quereus.

    Hor., Od. XII, liv. I.
  7. Ce rivage, appelé Zoné, voisin de l’embouchure de l’Hèbre, était couvert d’arbres que les poëtes feignaient y avoir été attirés par la lyre d’Orphée. Saumaise, Plin. exer., page 113. Pomponius Mela, liv. ii, cap. 2.
  8. Peuple de la Thrace.