Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/425

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une esclave, moi dont toutes les femmes thessaliennes enviaient autrefois le bonheur, je sécherai de douleur dans un palais désert, privée d’un fils qui faisait toute ma gloire, pour qui seul j’ai délié ma ceinture et imploré le secours de Lucine. Car la déesse, pour me rendre cette faveur plus chère, ne voulut pas qu’elle fût suivie d’aucune autre. Cruelle destinée ! l’aurais-je pu jamais penser, que la fuite de Phrixus serait la source de mon malheur ! " Tandis qu’Alcimède se plaignait ainsi d’une voix entrecoupée de sanglots, ses femmes attendries, gémissaient autour d’elle : "Ma mère, lui répondit tendrement Jason, cessez de me déchirer par cet excès de douleur. Vos larmes, au lieu de remédier à mes maux, ne font que les irriter. Les dieux dispensent à leur gré les malheurs aux faibles mortels. Supportez avec courage ceux qu’ils vous envoient, quelque cruels qu’ils soient. Ayez confiance dans la protection de Minerve, dans les oracles d’Apollon, enfin dans le secours de tant de héros. Surtout, restez dans ce palais avec les femmes qui vous entourent et n’apportez pas par vos pleurs un sinistre prèsage au départ du vaisseau vers lequel mes amis et mes esclaves vont m’accompagner."

Il dit et s’avance à grands pas hors du palais. Tel qu’on voit Apollon dans l’île de Délos, à Delphes, à Claros, ou dans les plaines de la Lycie, sur les bords du Xanthe, lorsque sortant de son temple, parfumé d’encens, il paraît aux yeux des mortels, tel Jason marchait à travers la foule du peuple, qui faisait retentir l’air de ses acclamations. [1] La vieille Iphias, prêtresse de Diane, déesse tutélaire de la ville, se rencontrant sur son passage, lui baisa la main droite. Elle aurait aussi voulu lui parler, mais la foule plus alerte la repousse, et Jason est déjà loin d’elle.


Jason est élu chef de l’expédition.

Lorsqu’il fut arrivé sur le rivage de Pagases, ses compagnons, qui l’attendaient près du vaisseau s’avancèrent à sa rencontre et s’assemblèrent autour de lui. Ce fut alors qu’on vit avec étonnement descendre de la ville, Acaste et Argus, qui accouraient de toutes leurs forces à l’insu de Pélias. Argus était couvert de la peau d’un taureau noir, qui lui descendait jusqu’aux pieds. Acaste portait un superbe manteau dont sa sœur Pélopie lui avait fait prèsent. Jason, sans s’amuser à leur faire aucune question sur leur arrivée, invita tous ses compagnons à tenir conseil. Les voiles encore roulées et le mât, qui était couché par terre, leur servirent de sièges : "Compagnons, leur dit-il, tout est préparé pour notre départ, le vaisseau est pourvu de tout ce qui est nécessaire, et si les vents secondent nos désirs, rien ne peut désormais nous arrêter. Mais puisque nous n’avons tous qu’un même dessein, puisque nous devons affronter ensemble les dangers du voyage et revenir ensemble dans la Grèce, unissons-nous par un lien commun. Choisissez hardiment le plus vaillant d’entre vous, qu’il commande aux autres, qu’il veille sur tout, et qu’il fasse à son gré la paix ou la guerre avec les nations chez lesquelles nous devons aborder." A ces mots, chacun tournant les yeux vers Hercule, assis au milieu de l’assemblée, un cri général lui déférait le commandement. Le héros, sans se lever, fit signe de la main et prononça ces mots : "Qu’aucun de vous ne songe à m’accorder cet honneur, je ne puis ni l’accepter ni souffrir qu’aucun de ceux qui sont ici l’accepte. Celui dont le danger nous rassemble aujourd’hui, doit seul nous commander."

On lance le vaisseau à la mer

Ce discours magnanime fut suivi d’un applaudissement général, et Jason reprit ainsi la parole avec joie : "Amis, puisque vous voulez bien me confier ce glorieux emploi, que rien ne nous retienne plus ici davantage. Implorons la faveur d’Apollon par un sacrifice, célébrons en son honneur un festin, et en attendant que mes esclaves aient amené les victimes qu’ils vont choisir parmi mes troupeaux, lançons le vaisseau à la mer, et tirez les places au sort. Nous élèverons ensuite sur le rivage un autel au dieu qui doit protéger notre embarquement et m’a promis dans ses oracles de nous servir lui-même de guide à travers l’immensité des mers si je commençais cette entreprise en lui adressant mes vœux."

Il dit, et le premier se dispose au travail. A son exemple, tous ses compagnons s’étant levés, déposèrent leurs vêtements sur un rocher poli qui, baigné dans les tempêtes par les eaux de la mer, était alors à l’abri des flots [2]. Leur

  1. :Qualis ubi hibernam Lyciarn, Xantique fluenta
    Deserit, ac Delum maternam inrisit Apollo,
    Instauratque choros : mixtique altaria circum
    Cretesque Dryopesque fremunt.
    Virg., Aen., IV, 148.
  2. :Est procul in pelago saxum spumantia contra
    Littora, quod tumidis submersum tunditur olim
    Fluctibus, etc.
    Virg., Aen., V. 125.