Page:Falconnet - Petits poèmes grecs, Desrez, 1838.djvu/44

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langes, monta sur le Pélion ombragé et le confia à Chiron, qui l’aima tendrement et le nourrit avec soin. Amis, mon âme est remplie du désir de le voir. Approchons de cet antre, voyons l’habitation de mon fils, et comment il est élevé. »

Il dit et entra dans un sentier, et nous le suivîmes. Nous arrivâmes dans une grotte obscure, où le Centaure reposait sur un humble lit, étendant ses membres agiles à la course, terminé par des cornes robustes de chevaux. A côté le fils de Thétis et de Pelée touchait la lyre de ses doigts habiles, et l’âme dé Chiron en était enchantée. Dès qu’il vit ces rois magnanimes, il se leva modestement et embrassa chacun d’eux ; il prépara les viandes du festin, il apporta les vins délicieux, et, ôtant les feuilles de son lit, il les dispersa pour en former une couche agréable ; puis il leur ordonna de s’asseoir et leur servit abondamment les chairs des porcs et des cerfs rapides, et leur distribua pour boisson un vin mêlé avec du miel. Et lorsqu’ils eurent abondamment satisfait leur faim, ils m’ordonnèrent avec applaudissemens de lutter contre Chiron, en faisant résonner les sons de la lyre qui retentit au loin. Mais je ne voulais pas, car j’eus honte, moi jeune homme, de venir m’égaler à un vieillard. Mais Chiron lui-même le désira, et malgré moi il m’invita à lutter par le chant. Le Centaure prit alors une belle cithare qu’Achille lui remit entre les mains.

Et d’abord il chanta les luttes des Centaures magnanimes, que les Lapithes massacrèrent. Il dit comment, irrités contre Hercule, ils combattirent dans Pholae. La colère les avait saisis parce que le vin leur avait été enlevé. Après lui je pris la lyre aiguë, et mes lèvres firent entendre un chant plein de la douceur du miel. Je chantai d’abord l’hymne triste du vieux Chaos, comment les élémens furent distribués, comment naquit le ciel, comment naquirent les terres et les profondeurs des mers ; et l’amour antique et générateur de tous les bons conseils et tout ce qu’il avait engendré, et les séparations qu’il avait établies entre plusieurs choses, et le pernicieux Saturne, et comment l’empire royal des dieux immortels avait été départi à Jupiter le maître de la foudre ; je chantai la race plus récente des mortels bien heureux et leur désaccord, les destins cruels de Brimion, de Bacchus et des Géants ; je chantai en outre l’origine de plusieurs nations et des hommes devenus plus faibles. La voix mélodieuse de ma lyre se répandait à travers les profondeurs étroites de la caverne ; les hauts sommets et les vallées ombreuses du Pélion furent émues, et la voix parvint jusqu’aux chênes élevés : ébranlés dans leurs plus profondes racines, ils s’approchèrent de la caverne ; les pierres nous répondirent : les bêtes féroces, entendant nos chants, arrivaient rapidement devant la grotte ; les oiseaux, se soutenant à peine sur leurs aîles fatiguées, oublièrent leurs nids et environnèrent la demeure du Centaure. Le Centaure vit ces prodiges et fut étonné, il frappa ses mains et de son pied il fit retentir la terre. En ce moment Tiphys vint du navire et appela tout à coup Mynias : moi je cessai de chanter, eux se levèrent rapidement et chacun revêtit ses armes. L’écuyer Pelée embrassa son fils dans les langes, il déposa un baiser sur sa tête et sur ses deux beaux yeux, en souriant au milieu des larmes, et Achille fui réjoui dans sa pensée. Puis le Centaure me fit don d’une peau de léopard, pour que je la portasse comme un souvenir d’hospitalité. Quand, nous retirant, nous quittâmes la grotte, le vieillard du haut du tertre leva les mains vers le ciel, et pria les Phillyrides et invoqua tous les dieux pour qu’ils voulussent accorder le retour de Minyas, et que les jeunes rois et ceux qui plus tard seront des hommes recueillissent une grande gloire.

Parvenus au rivage, ils descendirent tous dans le navire, ils prirent place sur les bords, et, pesant de tous leurs bras sur les rames, ils frappaient les ondes en s’éloignant du Pélion. L’écume bouillonnant sur les ondes immenses blanchissait la mer aux teintes verdâtres. On perdit de vue ces bords éloignés, et l’on aperçut Sciathos, et l’on vit le tombeau de Dolapis, la maritime Homale et le courant de l’Amyrus, qui se précipite dans la mer et roule à travers les terres immenses ses ondes tumultueuses. Les Minyens virent encore les sommets inaccessibles de l’Olympe élevé ; ils naviguèrent autour de l’Athos environné d’arbres, de la large Pallène et de la divine Samothrace. D’après mes conseils, les héros approchèrent des mystères redoutables des dieux, et inviolables aux mortels. Car il est utile aux hommes qui naviguent de sacrifier ainsi des offrandes divines. De là nous poussâmes notre rapide navire aux bords sintiaques, dans la divine Lemnos. Là les femmes étaient occupées à de terribles et criminels travaux. Elles avaient tué tous