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dans l’esprit que si Clotho a rompu le fil suprême, alors le dernier jour est venu inévitable.

XVI.

DE LA MÊME PIERRE.

Si tu as une fièvre qui de deux jours l’un vienne te brûler et te tourmenter, ou que te saisissant le quatrième jour, elle te menace d’un sort fâcheux et ne veuille pas te quitter, n’aie pas peur cependant de descendre aux enfers : tu te guériras avec l’agathe, aucun remède en effet n’est meilleur que celui-là. Mais je vais t’indiquer un signe pour reconnaître la force de la pierre : si tu la jettes dans des chairs cuites et qu’elle y séjourne un instant, les chairs seront de suite dissoutes.

XVII.

ENCORE DE LA MÊME PIERRE.

Je ne t’affirme pas qu’elle puisse être un bon remède contre les serpens, mais si tu en as besoin je t’en donnerai un qui vient du Ciel. Écoute-moi attentivement : lorsque le large Ouranos déchiré par les mains du cruel Saturne, roulant sur la terre immense son corps brillant, désirait descendre des hauteurs de l’Éther sur notre globe pour rendre toutes choses ténébreuses et abandonner ainsi à Saturne la masse du ciel étoilé, alors des gouttes de son sang ambroisien tombèrent sur la terre : comme elles émanaient d’un corps immortel, elles ne pouvaient pas périr. Les Parques voulurent que ce sang restât conservé sur les glèbes de la Terre, la mère des dieux. Les chevaux brillans du Soleil le rendirent aride. Si quelqu’un le touche il croit avoir une pierre dans les mains, mais ce n’est que du sang condensé. Elle en a en effet parfaitement la couleur, et mise quelque temps dans l’eau, elle devient vraiment du sang. C’est là ce qui lui a fait donner par nos ancêtres le nom de pierre sanglante. Elle renferme en elle-même des remèdes excellens. Aussi les poètes disent-ils qu’elle est venue aux hommes par des moyens célestes ; car, mêlée à du lait blanc ou à du lait épaissi, elle ne permet pas à de nouvelles douleurs de fatiguer les yeux des hommes et elle chasse les anciennes ; mêlée à un doux miel, elle éloigne toute maladie des paupières ; elle supporte difficilement que les hommes ne puissent plus voir d’aimables visages et soient ainsi éloignés de la présence du premier né des immortels, du grand roi au regard oblique. Qu’on la mêle au vin des festins et qu’on la boive, elle éloigne toutes douleurs des parties nobles de l’homme. Je l’ai fortement recommandée au belliqueux Ajax, allant au combat contre l’impétueux Achille ; je lui conseillais de porter en ses mains ce gage certain de la victoire. Mais la valeureuse Minerve excita contre lui la gloire du patient Ulysse : sa destinée ne permettait pas d’écouter mes bons conseils. Il négligea le secours que je lui indiquais et il saisit son épée fatale. Mais toi, réfléchis mieux sur ton sort. Tu sais la merveilleuse puissance de la pierre sanglante contre la race noire des serpens : ordonne donc à tes amis d’adresser des sacrifices aux nymphes nayades. Moi, voulant que mon esclave rapide Dolon fût bien avec mon frère Hector, je lui ai donné volontiers cette pierre céleste. Aussitôt il fut plus chéri de mon père et d’Hector qu’aucun des autres Troyens. Lui, désirant me remercier et reconnaître le présent que je lui avais fait, obtint de son père une pierre d’un nom précieux qu’il me donna. Il l’avait rapportée d’Assyrie lorsqu’il avait été envoyé comme député à Memnon ; et là il en avait fait l’épreuve en ma présence et l’avait trouvée bien meilleure que l’or, et, pour l’obtenir, il avait fait des dons infinis aux mages, hommes illustres dans les sciences.

Écoute le récit tout entier : je ne parle qu’après avoir moi-même fait une épreuve. Il faut se rendre d’abord à des autels qui ne soient pas souillés de sang (car il n’est pas permis d’immoler une victime animée) ; célèbres-y par des vers le Soleil qui brille au loin et la Terre immense, la Terre aux fécondes mamelles, nourrice de toutes choses. Puis il faut jeter dans le feu qui pétille et faire fondre cette pierre qui par la seule odeur apprivoise les dragons. Ceux-ci, voyant la fumée qui s’élève, se pressent autour de l’autel ; ils sortent en rampant de leurs demeures souterraines et regardent attentivement. Alors trois enfans vêtus de tuniques neuves de lin, portant chacun une épée acérée, doivent saisir le serpent aux taches variées qui alléché par l’odeur rampe le plus près du feu. Toi tu le divises en neuf parties. Offres-en trois au Soleil, trois à la Terre féconde nourricière, trois à Minerve chaste et prudente qui sait l’avenir. Un vase de terre re-