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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/105

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feu, éclairant une vaste cheminée de campagne. Très ému, je devais avoir l’air un peu gauche. J’avais fait une toilette qui sentait plus le jeune marié de village que le citadin endimanché.

— Excusez-moi de vous avoir si mal reçu à diverses reprises, fit-elle. Chez mon père, et quand il n’est pas là, je borne mes relations à deux ou trois dames de Saint-Jean-de-Losne. Je tiens à ne pas prêter aux ragots des domestiques.

Je ne trouvai rien à répondre à cette étrange excuse. Elle me pria de m’asseoir, me parla du bateau. Elle se plaisait à manier l’aviron, mais trouvait insipide la pêche, que son père, par contre, aimait beaucoup. La barque serait donc à deux fins.

— Le modèle que vous allez voir est à la fois robuste et léger, observai-je avec l’à-propos du constructeur.

— On m’a dit le plus grand bien des bateaux de M. Fargèze, déclara-t-elle.

La conversation s’engageait sur un terrain qui n’était pas plus dangereux pour l’un que pour l’autre. Elle dévia, et d’une façon que je n’aurais pu prévoir. Un moment Mme Lorimier me regarda, puis elle dit :

— Mais, monsieur, vous n’avez pas le même âge que mon frère ?

— À quelques semaines près. Il est de juin et je suis d’avril. Nous allons avoir dix-neuf ans.

Elle s’exclama :

— Quelle surprenante chose ! Je vous aurais bien donné deux ou trois ans de plus.

Je me mis à rire, et sans doute ce rire semblait-il signifier que mes dix-neuf ans ne laissaient pas de faire de moi un homme, car une vive rougeur anima cette blanche figure, dont tous les traits étaient fermement modelés. Mme Lorimier se leva, et l’objet de ma présence lui revint à l’esprit :

— Il faut que je vous remette cette plaque gravée. Voyons ? Où peut-elle être ?

Elle explora des tiroirs, visita une table encombrée de bibelots. Cette pièce était une salle à manger, mais déménagée à demi et fort en désordre.