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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/121

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— Te voilà fringuée comme une dame. As-tu remercié M. Fargèze, au moins ?

J’étais très gêné. Je lui payai à boire mais, nos verres vidés, je donnai le signal du départ. Fifine demeurait dans le même quartier que lui, au faubourg de Raines, et m’ayant souhaité le bonsoir ils s’éloignèrent de compagnie. Cela me fut pénible. J’avais beau me dire que c’était lui, Poirier, qui m’avait fait connaître cette fille, je me sentais piqué au vif. Qu’elle eût été sa bonne amie, je n’étais pas assez couillon pour le mettre en doute, mais cela m’écœurait de penser qu’elle continuait de l’être, qu’elle allait de moi à cet ivrogne, lui servant les mêmes grimaces, l’amusant de la même cabriole du cul à l’envers. Le lendemain matin, elle ne me toucha pas un mot de Poirier. Nous ne parlâmes pas non plus d’elle au bureau, Poirier et moi. J’aurais pu croire qu’il existait deux Poirier différents, l’un ignorant l’autre. Je me bornai à ne plus sortir avec Fifine, qui jamais ne me fit à ce sujet la moindre observation.

Septembre arriva. Je me laissais aller à la bonne vie qui m’était faite. Au bureau, où l’on venait de me caser dans une petite pièce, j’avais pris mes aises et je sifflotais toute la journée, ce qui agaçait la barbe de chèvre. J’eus par deux fois la visite de mon père, venu pour des achats de planches. Je recevais régulièrement des nouvelles de Morizot, qui, très pris par des études pour la construction d’un chemin de fer, se lamentait de ne pouvoir venir à Dijon, où l’appelaient « ses dévotions à Vénus ». Il me faisait parvenir les lettres que m’écrivait Mme Fosson et qu’il recevait pour moi. Elles m’apportaient d’éperdues protestations d’amour. Je finis par y répondre, après la troisième, et ce fut en vers, en vers salés, poivrés, par lesquels j’évoquais nos nuits chaudes, tout ce qu’avaient vu mon lit et le sien. Elle me croyait toujours à Saint-Brice. Je la renseignai sur ma nouvelle situation, lui donnant l’adresse des ponts-et-chaussées, où désormais elle pourrait directement m’écrire. Quelle imprudence ! Huit jours plus tard, comme, après le déjeuner, je regagnais le bureau, je trouvai, attendant à quelques pas de la porte, une femme de tournure bourgeoise tenant un sac de nuit :