Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117

messe, car elle y allait. Une fois, vidant devant moi sa poche pour y chercher une convocation de justice de paix, elle en tira un chapelet, une médaille de la Vierge, plusieurs de ces images sur papier à dentelle qui tiennent lieu de signets pour les paroissiens.

Elle avait moins besoin de colifichets que de vêtements. Je la conduisis dans une grande boutique de la rue Guillaume, où un commis lui montra des robes, des caracos, des fichus. Elle n’en avait jamais tant vu et en resta toute pantoise. Pour vingt-trois francs que je payai, elle emporta deux chemises, un tablier, une jupe, une camisole. Chez un cordonnier voisin, elle eut des souliers pour cinq francs. À vingt-six ans — car c’était là son âge bien qu’on ne lui en donnât pas plus de dix-huit — elle n’en avait encore usé qu’une paire. Elle ne chaussait que des sabots.

Quand, parée de neuf, elle entra le matin suivant dans ma chambre, elle rayonnait de se voir si faraude. Je lui promis un bonnet pour la sainte Sophie, qui tombait le 1er août. Elle ne savait comment me remercier et, certes, elle m’en donna pour mon argent. Je m’arrangeais si bien d’elle que j’étais impatient d’entendre le tambourinement de ses doigts contre ma porte. La singulière créature qui se glissait alors sous mon drap me divertissait par une diablerie d’extravagantes pirouettes. Elle jouait à cache-cache, furetait, bondissait, roulait en boule au fond du lit, pour revenir d’un trait me coller son petit derrière sur la figure. Parfois elle se livrait à de folles grimaces, enflait ses joues, tapait du poing dessus, faisait craquer ses articulations. Ses sèches jambes passées derrière le cou, elle sautait d’abord sur les mains, puis soudain se retournait tête en bas et, ainsi disloquée, s’écriait en gigotant de façon cocasse :

— Mon cul à l’envers ! N’est-ce pas qu’il est drôle ?

Un soir, l’ayant emmenée dans un cabaret de la rue du Chaignot où je m’amusais à suivre des parties de billard, je vis entrer Poirier, à qui je n’avais rien dit de mes rendez-vous avec elle.

— Ah ! les amoureux ! fit-il.

Puis, se tournant vers Fifine :