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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/125

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Je fus donc toute une semaine au pays, où je trouvai mon père dans le plus grand embarras, débordé par ses écritures. Il me fit entendre qu’il n’était pas très sensé que je fusse occupé au-dehors quand il y avait double besogne à la maison. Je tremblai pour ma félicité dijonnaise, et m’asseyant à la caisse je mis à jour toute la comptabilité. Aussi sortis-je peu, tenant compagnie à ma mère. Saint-Brice, au reste, me paraissait funèbre. Morizot ne m’amusait plus. Je sus que Bougret était là, se partageant entre la maison de ses parents et l’auberge Lureau, où, la nuit, il rejoignait Agathe. Il avait raconté la rixe avec les charretiers, insisté sur ma brillante intervention dans l’affaire. On m’accueillit comme un héros à l’auberge. Sans oser m’approcher, Agathe m’incendia de regards adorateurs.

Je fus bien aise de revoir le pavé de Dijon. C’était le matin, au petit jour. Je trouvai dans mon escalier Fifine. À tout hasard, elle m’attendait en tricotant. Je me délassai quelques instants avec elle, qui me régala de ses amusantes cabrioles.

Ce que je craignais arriva : dans la première quinzaine de décembre mon père vint et me fit voir un visage soucieux. Il me dit qu’il ne sortait pas de sa paperasserie et que, décidément, je lui manquais. « Mon garçon si cela continue, je devrai prendre un commis. Vois ce que tu as à faire. » Je compris que l’inéluctable était là, et je m’inclinai, déclarant que j’étais prêt à quitter mon emploi pour revenir à Saint-Brice. Il fut convenu que mon père écrirait à l’ingénieur en chef, lui donnerait des explications, lui ferait des excuses. Il s’en retourna rasséréné.

Quelques jours plus tard M. Toussaint me fit appeler. Il venait de recevoir la lettre. Je lus sur son visage qu’il était enchanté de se débarrasser de moi, bien qu’il me parlât avec une exquise condescendance : « Je m’en voudrais de vous disputer à votre père. Il a besoin de vos services. Votre devoir filial est d’être auprès de lui. » Il décida que ma liberté me serait rendue à la date de Noël.

Fifine eut une moue de consternation quand je lui appris la catastrophe. « Je me faisais si bien à vous ! » Je lui demandai quel souvenir lui serait agréable. Elle rêvait