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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/126

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d’une croix de cou. J’en eus une belle, en argent, pour huit francs. Follement heureuse, elle se para sans tarder de ce bijou, après avoir passé dans l’anneau un cordonnet de velours noir. Nue, à quatre pattes et cul en l’air, elle se faisait un jeu de voir se balancer la croix à chacun de ses gigotements. Je lui offris encore un flacon de vinaigre de toilette et de la pommade Philocôme, un produit que vantaient des affiches sur tous les murs.

La veille de la Noël me revit piteux à Saint-Brice, où je me réinstallai. Le léthargique ronron du village allait me reprendre. Il me reprit, et je fus enfermé de nouveau dans le cercle étroit d’où je m’étais par deux fois évadé : maison de famille, auberge, chantiers, péniches. Je me referais bien vite à l’ami Morizot.

Il ne me manquait qu’une chose, et je l’avais à portée de la main. Agathe se désolait de n’être plus ma bonne amie, mais quoi qu’elle fît je restais impassible. Il ne me fallut pas moins qu’un irritant jeûne de trois semaines pour m’amener à signer la paix avec elle. Encore ne me jetai-je pas à sa tête. Un soir, à l’auberge elle me prit à part.

— Pourquoi que tu ne me revois pas, Félicien ? Je t’assure que je n’ai plus rien, ni Bougret non plus.

Je grillais de céder, mais je me contins, m’éloignai sans lui répondre. Elle réitéra le lendemain, comme je me rendais à la cour en traversant la cuisine.

— Je t’assure, Félicien, que tu peux me revoir sans crainte. Sur la tête de ma mère, je peux te le jurer !

J’en avais assez de bouder contre mon désir. Un attouchement sur les tétons de ma grosse camarade fut le muet signal qui déclencha tout. Déjà troussée, elle s’évasait sur le bord d’une table. Notre brouille de six mois fut ainsi dissipée, et nos relations de jour et de nuit reprirent comme auparavant.

Avril vint, qui — le 8 — marquait une grande date de ma vie : ma vingtième année ! Vingt ans ! Bien souvent, adolescent, je m’étais dit : « Dans tant d’années tu auras vingt ans ! » Il me semblait qu’une heure si importante ne devait pas sonner du même son que les autres. Vingt ans !