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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/144

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CHAPITRE PREMIER

À l’octroi de la barrière de Clichy. Ludivine.
Promenades dans Paris. L’attentat d’Orsini.
Amours de carnaval.

Pas gais, mes débuts à Paris. Les affaires allaient mal et la bonne humeur n’était plus de saison aux « Amis de la Marine ». Buizard montrait un front barré de rides. Les transports par eau chômaient, concurrencés par les chemins de fer, le patronat de la batellerie n’ayant pas daigné s’adapter à cette ferraille, trop longtemps sujet de ses moqueries. Voituriers, loueurs de chevaux, garçons d’écurie, maréchaux-ferrants, charrons, bourreliers, se croisaient les bras devant les bateaux vides. Je devinais pourtant d’autres soucis en Buizard. Le mariage de sa fille avec Maillefeu avait eu son plein consentement, ce brave garçon ne pouvant que rendre Jeanine heureuse, mais quelques mois après les noces, la toux qui secouait par moment le jeune gabelou s’était révélée sous son vrai visage, celui de la phtisie. Je revoyais un Maillefeu étique, essoufflé, hoquetant, crachant, faisant pitié. Peut-être les fatigues conjugales, souvent excessives chez les poitrinaires, avaient-elles accéléré l’évolution du mal. Cependant Jeanine, sa femme, jolie toujours, étalait une grossesse de six mois. Je l’avais peu regardée, l’an passé, et j’observais cette fois la flamme singulière de ses yeux noirs. Les jeunes époux avaient leur chambre dans l’hôtel et prenaient leurs repas à la table commune, Mme Maillefeu s’occupant avec sa mère de la cuisine et des clients.