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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/152

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et, demi-nu, me quillant cyniquement contre cette salope, je l’accrochai avec l’aisance de l’habitude sans qu’elle s’interrompît de brailler, si bien que tout en y allant bon train, je me mis à brailler à l’unisson, accompagnant à pleine gueule le refrain stupide : « Vive l’Anglais quand il s’agit d’payer ! — Voilà, voilà, voilà — Le refrain du quartier… — Bréda ! » Mme Adin nous regardait faire, ouvrant de grands yeux traversés de lueurs troubles, mais comme, fini le duo lubrique, je me risquais à la trousser, elle me repoussa, voulut partir. Je me rhabillai et les accompagnai. L’huissier Raffard, chez qui servait Ludivine, habitait à deux pas. Elle nous quitta devant la maison. J’allais conduire Mme Adin jusqu’à sa boutique, cent mètres plus bas, la Grande-Rue étant pleine d’ivrognes à la galanterie agressive.

Arrivée chez elle, elle me remercia, me dit au revoir. Elle dormait debout. Je l’attirai à moi, l’embrassai sur la bouche, cette bouche dont le sourire m’excitait. Elle ne m’opposa pas de résistance. Elle ouvrit sa porte. Je lui demandais la permission de la suivre : « Chut ! fit-elle en me livrant passage. Ma mère couche au premier. « J’entrai. Son lit occupait l’arrière-boutique. J’y fus derrière elle et, sitôt, dans une épaisse obscurité, je la pelotai au vif. Elle se coucha, m’empoigna, si agitée que ses talons m’éperonnèrent. Mais je ne m’attardai guère et, savourant d’un dernier baiser sa bouche, je me retirai à pas de voleur, la laissant au lit. Je crois bien que cinq minutes ne s’étaient pas écoulées quand je me retrouvai dans la rue.

Je me berçai de l’espoir que nous ne nous en tiendrions pas à cette saillie ultra-rapide, qui avait eu pour effet de me rendre plus curieux d’elle. Je m’abusais. Ayant revu Mme Adin le lendemain, je constatai que son attitude n’était pas celle d’une femme prête à retomber dans mes bras. Le visage qu’elle me fit voir n’avait plus son sourire. Se reprochait-elle de m’avoir si facilement cédé, sous l’influence du punch, du vin, et sans doute aussi du spectacle de chiennerie que Ludivine et moi lui avions donné ? Je la revis plusieurs fois encore, aussi fermée, muette, lointaine. Décidément, ma sauce de Mardi-Gras lui avait suffi.