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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/179

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Je retrouvai Paris en pleine effervescence, prenant bruyamment fait et cause pour l’indépendance italienne. Les orgues de Barbarie ne moulaient plus que du Verdi et du Rossini. Les vivats à Garibaldi retentissaient partout. L’ambassade d’Autriche, m’apprit-on, était gardée à vue. Mais j’étais bien trop amoureux pour méditer sur l’éventualité politique, et sitôt descendu du train je courus aux « Amis de la Marine ». J’avais un prétexte : un beau lièvre que mon père me chargeait d’offrir aux Buizard.

Le lendemain matin, elle frappait à ma porte, Jeanine. Quelle émotion de nous revoir ! Elle ne disposait que d’un instant, l’instant enflammé d’une jonction qui se renouvela presque chaque jour. Elle accourait, essoufflée, car elle faisait à pied cette longue et fatigante route. Je l’attendais au lit. Elle s’y allongeait tout habillée, se donnait, me recevait avec des élans qui rendaient vains ses mouvements de pudeur. Je la libérais un peu de son vêtement, assez pour que fût bien à moi sa gorge fruiteuse. Il lui arriva de revenir dans l’après-midi, mais jamais le soir. Parfois elle avait dans ses bras le petit Germain, ce qui lui permettait une plus longue absence. Mais, tout mesuré que nous fût le temps, nous l’occupions si ingénieusement que nous ne tardâmes pas à bien nous connaître. Calmé l’amour, nous causions, nous envisagions l’avenir. N’allait-elle pas jusqu’à parler de quitter sa famille pour se mettre avec moi ? Tout amoureux que je fusse, je m’employais à écarter de son esprit la folie d’un tel projet.

Avril vint ainsi, qui devait contenir tant d’événements. Le 23, la nouvelle de l’ultimatum de l’Autriche fondit sur Paris avec un bruit terrible. Le Piémont était mis en demeure de licencier sans délai ses volontaires. Le 25, on sut qu’il se préparait à répondre par un refus qui ne laissait place à aucune conciliation. Une angoissante question se posait, exprimée par toutes les bouches : Qu’allait dire, qu’allait faire le gouvernement des Tuileries ? Le 26, le refus était prononcé, souffletant Vienne. Mais à ses côtés l’Italie trouvait la France, et ce même jour, avec une rapidité foudroyante, nos premiers régiments débarquaient à Gênes. C’était la guerre.