Aller au contenu

Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175

penserait-elle de moi, qui lui avais fait promesse d’être de retour au plus tard à la fin de décembre ? Je tournai la difficulté en écrivant à Buizard que j’avais décidé de rester à Saint-Brice jusqu’au 15 Janvier.

Oui, mais, mais… Si peu en état que fût Agathe, je lui donnai à entendre que j’avais besoin de ses services. Je ne mettais pas en doute qu’elle s’y empresserait, en quoi je me trompais car elle fit des manières. « Je ne peux pas, Félicien. Ne me demande plus ça. » Je le lui redemandai pourtant, et sur un ton qui n’admettait pas le refus. J’avais assez tapé dedans pour ne pas me gêner avec elle. Enfin, elle ne tenta plus de dire non, et je pus la rencontrer de nuit, comme autrefois, en grimpant à l’échelle sous sa fenêtre. Elle y reprit goût. Je n’avais qu’un signe à lui faire pour qu’elle se remît au garde-à-vous chaque fois qu’il m’arrivait, dans l’après-midi, d’aller rôder du côté de la cuisine. La mère Lureau s’en aperçut, d’abord indignée, rappelant avec colère à sa fille qu’elle avait « un Bougret dans le ventre », puis s’arrangeant de manière à ne pas nous voir. Par contre, Louisette, sa petite nièce, autrement plus curieuse et guettant ces ententes, éventa certaines fois nos précautions. Comme Agathe m’attendait, cul nu derrière la porte, le visage rieur de la gamine se montra, furtif. Elle en avait assez vu et cela ne fut pas sans m’ennuyer, car je la devinais vicieuse et bavarde. Fort heureusement, il ne me restait plus à compter que six jours avant de regagner mon cher Paris.

Juste à ce moment-là les journaux — mon père était abonné à La Presse — vinrent nous apporter d’alarmantes nouvelles d’Italie. Bravant l’Europe, l’Autriche remuait son sabre en menaçant ce beau pays qui gémissait sous son joug, et du Piémont, de la Toscane, de Milan, de Parme, de Naples, s’élevaient des clameurs de révolte. Un soulèvement général semblait imminent. Quel en serait le contrecoup en France ? À l’auberge Lureau, ce fut l’inépuisable sujet de nos discussions. On se répétait les dures paroles par lesquelles Napoléon III avait accueilli l’ambassadeur d’Autriche lors des réceptions diplomatiques du 1er janvier.